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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/604

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vers la mer. La pente de cette vallée est rapide, et les hauteurs fortement mamelonnées qui la bordent s’étagent en gradins descendant aussi loin que peut s’étendre le regard. Une sorte d’échine moins élevée que les montagnes du pourtour divise en deux parties le bassin presque circulaire qu’elles enferment ; c’est comme un isthme interposé entre les deux rivières pour relier à la chaîne de l’ouest la montagne conique en pain de sucre qui dominé leur confluent et se dresse au centre du cirque. Les Grecs n’auraient pas manqué de comparer cette disposition du terrain à celle d’une de ces coupes sans pieds ou phiales qu’ils appelaient mesomphaloi, parce que le fond s’en relevait par un gros bouton circulaire à sa partie centrale. Bien de plus curieux ni de plus frappant d’aspect que ce cône de plusieurs centaines de mètres d’élévation, aux flancs en pente rapide, couverts de cultures, principalement de vignes, du moins sur son côté méridional, qui surgit comme du fond d’un large et profond entonnoir de montagnes ouvert sur un seul point et qui porte à son sommet une ville perchée comme unie aire d’aigle, à 1,000 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer.

Cette ville est Acerenza, Pour y parvenir, une fois descendu dans le fond de la vallée, il faut plus de deux heures d’ascension par une route dont les nombreux lacets semblent interminables. Elle est enveloppée encore de l’enceinte démantelée de ses anciens remparts da moyen âge, sur lesquels en plus d’un endroit on a construit des maisons plus modernes. Dans la majeure part de leur périmètre ces remparts ont pour soubassement des rochers escarpés ; aussi la ville n’est-elle accessible que du côté du sud : c’est là que s’ouvre son unique porte devant laquelle se réunissent toutes les routes, de quelque direction qu’elles viennent La cathédrale s’élève immédiatement au-dessus du rempart à l’extrémité orientale de la ville, qu’elle domine de sa masse imposante et sombre.

Acerenza est fameuse en Basilicate par son vin, dont la renommée ne m’a point paru usurpée. Située comme elle l’est sur un piton isolé, à découvert de tous les côtés, c’est vraiment le royaume du vent ; de quelque côté qu’il souffle, il y fait rage, à tel point que l’étranger qui y passe pour la première fois la nuit croit à toute minute que les fenêtres de sa chambre vont être enfoncées ou le toit de la maison emporté. Mais cette ventilation exagérée est parfaitement saine pour ceux qui en ont pris l’habitude, et l’on prétend qu’il n’est pas dans toute la province une ville qui compte plus de centenaires qu’Acerenza. Dans quelque direction que l’on prenne son point de vue, le paysage qu’on embrasse du haut de ses remparts est éminemment pittoresque et d’une originalité frappante, mais plutôt triste. La ceinture de montagnes grandioses et sévères que le regard rencontre partout a une solennité qui éloigne les idées