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d’éducation libérale et littéraire telle que la comprenaient nos pères. C’est ce que l’on constaté du moins chez ces chanoines, dont presque chaque ville, même la moindre, renferme un chapitre, de même qu’elle possède un évêque. On prétend, il est vrai, que le clergé méridional n’a ni l’admirable régularité de mœurs du nôtre, ni son zèle pour les rudes labeurs du ministère. Je ne sais dans quelle mesure ces accusations, que j’ai entendu bien des fois formuler, sont justifiées ; mais ce que je lui reprocherais surtout, c’est de ne pas avoir assez de souci de spiritualiser la religion de ses ouailles populaires et d’éclairer l’ignorance naïve de leur foi, c’est de les laisser donner à leur dévotion quelque chose de si exclusivement matériel qu’elle est encore du paganisme plus qu’à demi. En tous cas, au point de vue de la distinction des manières et de la culture de l’esprit, ce clergé est dans le pays une véritable élite. Il rappelle d’assez près ce qu’était chez nous le clergé avant la révolution. Le sentiment national est très vif chez la plupart de ses membres ; on n’y rencontre aucun regret du régime déchu, aucun désir de sa restauration. Dans l’église de Saint-Nicolas de Bari, qui est un chapitre de patronat royal, j’ai remarqué, non sans une certaine surprise la première fois que je les y ai vus, deux portraits appendus en face l’un de l’autre des deux côtés de l’entrée de la nef, celui du souverain pontife Léon XIII et celui du roi Humbert. Cette association, qui étonne notre esprit français trop peu habitué par nature aux tempéramens et porté à n’envisager les questions que sous des points de vue tranchés et absolus, est dans la grande basilique de Bari l’expression sensible de sa condition officielle, mais on pourrait la prendre comme un emblème des sentimens intimes de la majorité des ecclésiastiques des provinces napolitaines. N’en déplaise à ceux qui croient les deux termes absolument antithétiques, ils sont à la fois très Italiens et très catholiques, suivant en cela l’exemple de deux des hommes dont le renom européen a fait leurs chefs naturels, dom Tosti, l’abbé du Mont-Cassin, et M. Pappalettere, le grand-prieur de Saint-Nicolas de Bari. Et comme en se mêlant activement à la vie publique il se trouverait forcément, dans l’état actuel des choses, embarrassé par un conflit entre ses convictions patriotiques et son dévoûment au saint-siège, le clergé méridional s’abstient avec une grande sagesse de toute immixtion dans la politique ; il reste prudemment en dehors de la mêlée des partis, s’attachant au rôle d’un observateur silencieux, fin, sagace et quelque peu narquois.

De cette sage attitude du clergé résulte dans le midi de la Péninsule une grande pacification religieuse. Avec la façon dont l’ancien gouvernement avait prétendu se faire l’évêque du dehors et colorer son absolutisme du prétexte de la défense des sains principes sociaux