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du XIIe siècle. Ses deux colonnes de marbre de couleur, empruntées aux ruines. de quelque édifice antique, reposent à leur base sur deux groupes d’une incroyable obscénité, l’un d’un grand singe et d’une femme, l’autre d’un homme et d’une guenon. Le regretté A. de Longpérier a fait remarquer que, grâce à leurs relations avec les Arabes, les artistes de l’Italie normande connaissaient assez bien les éléphans, animaux qui servent de supports au siège de marbre de l’archevêque Ursone dans la cathédrale de Canosa. Les groupes du portail de la cathédrale d’Acerenza montrent qu’ils avaient aussi par la même voie des notions sur les grands singes anthropomorphes de l’archipel Indien, lesquels jouent un rôle dans les aventures de Sindbad le marin. Ces groupes ont du reste dans les derniers temps donné lieu à un petit conflit. En prenant possession de la cathédrale l’archevêque actuel les avait fait enlever par pudeur ; le chapitre, par amour de l’archéologie, s’est un à la municipalité pour en imposer la remise en place.

À l’intérieur, l’aspect a été fort dénaturé par l’exécution de voûtes de maçonnerie, que l’on a substituées il y a une quarantaine d’années à la charpente apparente de la couverture. L’idée n’était pas plus heureuse au point de vue de la beauté que de la solidité de l’édifice. Les voûtes ont été lézardées dans tous les sens par le tremblement terre de 1857 ; elles menacent ruine, et on est obligé maintenant de les reprendre en sous-œuvre. Ce qu’on aurait de mieux à faire serait de les démolir pour remettre l’église dans son état primitif. Le chœur est élevé d’environ deux mètres au-dessus du pavé du reste de l’édifice et même du bas-côté qui l’entoure. Par-dessous règne une crypte qu’ont fait refaire et décorer en 1523 Giacomo Alfonso Ferrillo, comte de Muro, et sa femme Marie de Baux. C’est une œuvre exquise comme architecture et comme sculpture. Les ornemens en grotteschi couvrant les voûtes et les pilastres, les chapiteaux des colonnes et surtout le beau bas-relief de bronze placé au-dessus de l’autel, ont la grâce pleine de morbidesse, la suavité charmante et la souple élégance des œuvres de Giovanni da Nola. Enfin, chose infiniment rare dans les provinces de l’extrême midi de la péninsule, la cathédrale d’Acerenza possède deux bons tableaux sur les autels majeurs des deux transepts. L’un, celui du transept de droite, m’a paru de Polydore de Caravage ; l’autre est de quelque peintre napolitain que je n’ai pas su déterminer, lequel procédait de l’école de Raphaël, mais par l’intermédiaire de Jules Romain, dont il a imité la dureté de dessin et le coloris briqueté dans les chairs.

On voit par ces brèves indications quel degré d’intérêt présente la cathédrale d’Acerenza. Elle mériterait d’être soigneusement relevée par un architecte, car elle est un des monumens les plus