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précieux pour la chronologie de l’art dans les domaines des princes normands. Schulz, dans ses remarquables études sur les édifices du moyen âge dans l’Italie méridionale, s’est complètement mépris sur la date des rares églises d’un roman tout français telles que celles-ci. Il pense qu’elles appartiennent à une époque avancée déjà dans l’existence de la monarchie fondée par les fils de Tancrède de Hauteville. C’est le contraire qui est vrai. Les monumens de ce type sont en réalité du premier demi-siècle de l’établissement des Normands. Il n’existe aucune raison de contester les dates traditionnelles du commencement des travaux des deux plus importantes de ces églises, 1065 pour celle de Venosa, 1080 pour celle d’Acerenza. Je dirai plus, ce n’est qu’en les acceptant pour exactes que l’on peut arriver à une reconstruction satisfaisante de l’histoire de l’architecture aux XIe et XIIe siècles dans les Pouilles et la Basilicate. Lorsque les Normands se rendirent maîtres du pays, ils y trouvèrent déjà florissant un système architectural qui s’était formé avant eux sous la domination grecque, un style procédant à la fois du byzantin et de l’arabe et en combinant les élémens, dont la cathédrale de Canosa et celle de Siponto peuvent être tenus pour les types les plus caractéristiques et les plus achevés. Ce style, pendant toute la seconde moitié du XIe siècle, fut encore employé sans modifications dans une partie de leurs édifices, dans ceux pour lesquels ils s’adressèrent aux maîtres constructeurs indigènes. Il semble même que, dans les domaines de Bohémond, il se soit conservé plus tard qu’ailleurs, jusque vers 1115, comme si une influence syrienne l’y avait entretenu et renouvelé ; Antioche et Tarente, soumises au même prince, se seraient ainsi donné la main sur le terrain de l’art. Mais, à côté de ce style byzantino-arabe, la venue des nouveaux dominateurs en avait introduit un autre, le roman de notre pays. Robert Guiscard, dont il faut faire intervenir ici l’influence personnelle puisque la Trinité de Venosa était son œuvre, Robert Guiscard voulait avoir dans ses nouveaux états des églises pareilles à celles que, tout jeune, il avait admirées et vu construire dans sa Normandie. Il faisait donc venir de là-bas des architectes comme ceux qui ont travaillé à Venosa et à Acerenza, et ceux-ci transportaient sur le sol italien toutes leurs traditions d’école. La coexistence des deux styles rivaux est ainsi le fait qui se produisit le premier, au lendemain de la conquête, et c’est seulement alors qu’on peut l’admettre, l’expliquer historiquement. Plus tard, au contraire, dans le XIIe siècle, il se produisit une fusion de ces deux systèmes ; les maîtres étrangers eurent des élèves indigènes ; les données des écoles, d’abord en antagonisme, se combinèrent en une harmonieuse synthèse. C’est ainsi qu’on vit naître et régner, de 1100 à 1200, dans les provinces gouvernées par les descendans de la