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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/621

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il avait dévoué sa vie à la cause de la légitimité. Nul n’était plus brave sur le champ de bataille, plus hardi dans ses entreprises et ne connaissait mieux tes conditions de la guerre de partisans. Nul surtout, chose rare parmi les cabecillas, n’était plus loyal et plus désintéressé ; nul n’avait les mains plus pures. Jamais, dans un genre de guerre où le pillage est si facile, il n’avait cherché à tirer parti des aubaines de la maraude. Exilé de son pays, il vivait pauvre et dans la retraite. C’est là que vinrent le chercher les envoyés du roi de Naples. Un roi détrôné, parent de celui dont il avait porté la cocarde, réclamait ses services. Il n’hésita pas un instant à répondre à cet appel et, sans rien demander de plus, il partit. Le 14 septembre 1861, Borgès, ayant pour lieutenant un Français, Auguste. Langlois, ancien capitaine aux zouaves pontificaux, débarquait à Brancaleone, près de Reggio, suivi de cent Espagnols, vétérans du carlisme.

Il venait faire en soldat une guerre loyale et régulière, résolu à ne pactiser avec aucune pratique honteuse, avec aucun excès qui pût entacher l’honneur de son drapeau. C’est ce qu’il annonçait dans la proclamation qu’il lançait en débarquant pour appeler les populations aux armes et dans une lettre d’un ton singulièrement chevaleresque qu’il adressait en même temps aux commandans des troupes italiennes comme le cartel d’un paladin de l’école des Amadis. Il traversa plusieurs bourgs sans que personne répondit à son cri d’insurrection, vînt se joindre à sa petite troupe. Le pays ne montrait aucune disposition à cette révolte universelle qu’on lui avait promise ; Il dut en toute hâte se jeter dans l’Aspromonte, où l’attendait la bande de Mittica. Dès la première entrevue, Borges comprit à qui il avait affaire. Quant à Mittica, cet étranger qui venait lui parler d’honneur et de dévoûment, qui prétendait lui commander, ordonnait de se battre et défendait de voler, lui parut suspect ou tout au moins gênant. Il le mit en état d’arrestation et le fit désarmer avec ses compagnons. Le rusé Calabrais faisait d’eux des otages bons à tenir en réserve pour quelque négociation future où il pourrait, en les livrant aux Italiens, s’assurer d’être reçu à composition si la chance tournait trop mal pour lui.

Les événemens déjouèrent son calcul. Quelques jours après, une colonne de plusieurs bataillons de bersaglieri attaquait à l’improviste les brigands de l’Aspromonte. Comme les choses devenaient sérieuses, les fusils furent rendus aux Espagnols. Après un engagement très vif, mais court, les bandits se dispersèrent ; Mittica lui-même se rendit prisonnier. Borges avec ses compagnons, imposant aux ennemis par leur fière contenance, opérèrent leur retraite en bon ordre, suivis de quelques individus de la bande qui montraient plus de cœur que les autres. Ils se mirent en marche vers le