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nord en suivant les parties les plus inaccessibles des montagnes. Le 9 octobre, ils tentaient de surprendre Catanzaro, mais ils y étaient si vigoureusement reçus que tous se débandaient. Borgès lui-même, abandonné, dut prendre la fuite avec sept compagnons seulement et se jeta dans les forêts de la Sila. Pendant plus d’un mois, on y perdit sa trace et l’on n’entendit plus parler de lui.

À ce moment, le massif de la Sila était tout entier au pouvoir de Cipriano La Gala, qui disposait de plusieurs milliers d’hommes, cantonnés dans les bois immenses de la haute montagne. Il adressait au général commandant à Cosenza et au préfet des lettres où il les traitait d’égal à égal. Évidemment, en choisissant la Calabre pour lieu de débarquement, Borgès avait compté trouver dans les forces de La Gala une division tout organisée de sa future armée. Mais le roi de la Sila ne se soucia pas de se soumettre à l’autorité régulière du chef qu’on avait voulu lui donner. De son côté, Borges recula devant l’idée d’une association avec cet homme couvert de crimes, dont le procès, deux ans plus tard, a révélé tant d’atrocités révoltantes, de vols qu’aucune passion politique ne pouvait excuser. Il erra donc au travers des forêts, menacé de tous côtés des plus grands dangers, obligé de se cacher des prétendus insurgés autant que des lieutenans du général La Marmora.

Cependant il lui fallait tenter quelque chose. Les renseignemens qu’on lui fournit sur Donatello Crocco, qui avait rassemblé une troupe assez nombreuse dans les bois du Vulture, lui firent espérer de trouver dans ce chef, sinon un pillard moins avide du bien d’autrui que les autres, du moins un homme plus brave, qui se prêterait à des opérations militaires. Borgès résolut donc de le rejoindre pour entreprendre une campagne dans la Basilicate. Le choix seul de cette province montre à quel point on l’avait mal renseigné sur le pays. Il n’en était pas une où il dût rencontrer plus de difficultés pour ses projets. Depuis plus d’un demi-siècle, la Basilicate se distinguait par l’ardeur de libéralisme de la population de ses villes. Dans aucune autre le cardinal Ruffo n’avait trouvé une plus opiniâtre résistance ni Murat plus de dévoûment. L’année précédente encore, toutes les villes de la province s’étaient soulevées et avaient chassé les troupes royales à la seule nouvelle du débarquement de Garibaldi à Melito, et c’est cette diversion inattendue sur les derrières de l’armée opposée en Calabre au dictateur révolutionnaire qui avait désorganisé tous les plans de résistance des généraux de François II. Une entreprise bourbonnienne était donc sûre d’échouer en Basilicate encore plus que partout ailleurs.

Borgès, toujours en se cachant, avait gagné le Lagonogrese, puis les montagnes boisées des environs de Saponara. De là il s’était mis en rapport avec Crocco et l’avait appelé à lui. Le 3 novembre, les