avait dessiné, en nonpareille de couleurs variées, son chiffre entre un drapeau français et un drapeau italien. J’en prends un morceau, mais à peine y ai-je porté la dent je recule, et il me faut un effort héroïque de politesse pour en manger deux ou trois bouchées sans trop de grimaces. C’était un pâté de jambon, d’œufs durs, d’amandes, de cornichons au vinaigre et de fruits confits, le tout assaisonné au sucre et au fromage fort. Je pourrais énumérer ainsi, pour l’instruction des ménagères, un certain nombre de recettes de même caractère, à inscrire également dans le livre de la cuisine qu’il ne faut pas faire. J’y donnerais une place d’honneur au lièvre à la mousse de chocolat avec des petits dés de jambon et des amandes de pin pignon, à la soupe où l’on met dans le bouillon des biscuits sucrés, enfin à la sauce faite de vinaigre, de moutarde, de sucre, de menthe et de baume pour accompagner le poulet rôti. Quand on vient de passer plusieurs journées au régime exclusif de cette cuisine trop pleine de couleur locale, on éprouve un véritable soulagement à trouver celle de la trattoria de Potenza.
En circulant dans les rues de cette ville, on ne peut manquer de remarquer le nombre des mutilés, c’est le résultat du tremblement de terre du 16 décembre 1857, le plus récent et le plus effroyable que l’on ait vu depuis plusieurs siècles dans cette province où le fléau revient presque périodiquement. Dans la seule ville de Potenza, les chirurgiens durent à la suite du désastre opérer quatre mille amputations, plus qu’on n’en fait après une grande bataille. Ce tremblement de terre, qui donna trois secousses circulaires successives (la seconde fut la plus violente), répandit sur la majeure partie de la Basilicate des ravages égaux à ceux du tremblement de terre de 1783 en Calabre. il y périt sur le moment même trente-deux mille personnes écrasées sous les ruines sans compter celles que moissonnèrent ensuite les conséquences des blessures, la faim et le froid. Ce que fut le nombre de ces dernières, on en pourra juger par les chiffres officiels relatifs à l’arrondissement de Sala. Les victimes de la secousse y avaient été de treize mille deux cent trente ; celles des suites de la catastrophe pendant les trois mois après montèrent à vingt-sept mille cent cinquante. Une ligne droite tirée du Vulture au Stromboli détermine exactement celle de la plus terrible intensité du phénomène. C’est en effet sur son trajet que se trouvent, outre Potenza, Saponara et Sapri, qui souffrirent horriblement, les petites villes du Val di Tegiano, Auletta, Atena, Sala, Padula, qui furent toutes renversées de fond en comble, où pas une maison ne resta debout. A droite et à gauche de cette ligne, la secousse fut beaucoup moins sensible et alla en s’atténuant à mesure que l’on s’éloignait du trajet central. Elle fut cependant plus ressentie à l’ouest qu’à l’est, particulièrement dans la région du Vésuve.