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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/634

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l’on y chercherait vainement rien qui fût conforme aux idées modernes, soit sur les rapports de l’état et de l’église, soit même sur le respect dû aux droits de la conscience et à la liberté des cultes. La Bible était leur loi suprême ; elle devait inspirer et suppléer les lois écrites. Leur premier souci, quand ils fondaient quelque établissement, était de se construire un temple, qui devenait bientôt le centre de leur vie individuelle et sociale. La première élection était celle du ministre et des anciens. Les frais du culte étaient à la charge de tous les habitans, mais les droits de citoyen n’appartenaient qu’aux « communians, » et la société religieuse se réservait la faculté d’excommunier les infidèles, les pécheurs ou même les tièdes, dont le seul crime était de ne pas se sentir « en état de grâce. » Les premiers dissidens qui voulurent s’établir dans la colonie naissante, — deux membres de l’église anglicane, — furent réexpédiés en Europe par le navire qui les avait amenés. Une série de lois draconiennes ferma l’entrée de la Nouvelle-Angleterre aux anabaptistes, aux antinomiens, aux quakers, aux catholiques : en cas d’infraction, les hérétiques étaient exposés à la peine du fouet et de la mutilation, sans préjudice des travaux forcés « jusqu’à ce qu’ils pussent être renvoyés à leurs frais. » Le blasphémateur, le profanateur du dimanche, étaient passibles de châtimens qui pouvaient aller jusqu’à la mort. Cette législation féroce ne demeura pas lettre morte. La Nouvelle-Angleterre eut, au XVIIe siècle, ses Urbain Grandier, ses Calas, ses Labarre : dans le Massachusetts, on exécuta des sorciers jusqu’en 1692.

Il serait, néanmoins, injuste de méconnaître que, malgré son intolérance, son rigorisme, son étroitesse d’horizons, le calvinisme était, de tous les courans religieux de l’époque, le plus propre à faire d’une poignée d’émigrans les fondateurs d’une grande et libre nation. Il est impossible de ne pas constater son influence dans les qualités qui distinguaient les premiers émigrans et qui dominent encore aujourd’hui chez leurs descendans : la confiance dans l’initiative individuelle, l’opiniâtreté au travail, le goût de l’instruction, le respect de la femme, et le sentiment du sérieux de la vie. On peut sourire des règles minutieuses, et souvent vexatoires, où le génie puritain croyait trouver une barrière à la corruption des mœurs ; mais le puritanisme n’en a pas moins donné aux sociétés marquées de son empreinte deux siècles d’une moralité comme aucun peuple n’en a connu de plus sincère, ni de plus générale, sinon de plus haute. Enfin, on lui doit d’avoir fait des hommes égaux et libres. Les constitutions rédigées, à grand renfort de textes bibliques, dès les premières années de la colonisation, étaient tellement imprégnées de self-government, que, sauf dans leurs dispositions contraires à la liberté de conscience, elles sont restées à