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personne du nommé Hall un maître qui était exigeant, sans être brutal. Il possédait trois fags et il entendait les avoir toujours autour de lui. Étant d’humeur indolente, il avait pour principe qu’un garçon qui se respecte ne doit jamais rien faire de ce que les autres peuvent faire pour lui. Chaque matin, quelques minutes avant neuf heures, M. Brinsley devait mettre le couvert, tout préparer pour le déjeuner de son auguste patron ; prenant ses jambes à son cou, il allait lui chercher du pain chaud, de la crème, des conserves, du salé, quelques friandises. On l’envoyait quelquefois aussi chez le tailleur ou porter des lettres à la poste. Quand Hall n’était pas content de ses fags, il les corrigeait à l’aide d’une fourchette à rôties ; mais il menaçait plus souvent qu’il ne châtiait. Ce maître indulgent entendait la plaisanterie. Un jour qu’un de ses fags lui apportait des œufs sur le plat, il se fâcha tout rouge et s’écria : « Petit chien, jeune brute que vous êtes, avez-vous bien le front de me servir des œufs où il y a trois mouches mortes ? — Trois ! repartit Pug, en affectant une extrême surprise, je croyais qu’il y en avait cinq. Que sont devenues les deux autres ? » Une autre fois, Hall se plaignait que son thé n’était pas chaud. « Je l’ai trouvé assez chaud pour moi, répondit Pug, et vous pouvez m’en croire, car j’y ai mis le doigt. »

Plus tard, M. Brinsley changea de maître et perdit au change. L’élève Blazes ne badinait pas, son service n’était pas une sinécure. Il exigeait de ses domestiques une obéissance prompte et ponctuelle, smart and blindly obedient. Ce n’était pas une petite affaire que de tout ranger dans sa chambre, de nettoyer ses pots d’étain et ses gobelets d’argent ; il fallait frotter, polir et repolir. Il donnait souvent à déjeuner. Dans ces grandes occasions, il mettait tout son monde en campagne. Celui-ci préparait ses rôties, celui-là courait de place en place pour emprunter les tasses et les soucoupes dont il avait besoin, un troisième allait chercher à l’auberge la fricassée de poulets ou les côtelettes de saumon qui devaient être la pièce de résistance du repas. Ces diligens commissionnaires se dédommageaient de leurs peines en mangeant les restes, qu’on leur abandonnait généreusement, comme on jette un os à un chien.

Ce qui chagrinait M. Brinsley, c’est qu’il n’avait pas seulement à servir son maître légitime ; il se serait exposé à de vertes corrections s’il eût refusé de se mettre aux ordres de tout élève des classes supérieures. Les fags avaient peu de goût pour ce travail surérogatoire et ils tentaient de s’y soustraire. Au cri de : Lower boy ! poussé d’une voix retentissante, c’était une déroute, un sauve-qui-peut général, un bruit de portes qui s’ouvraient ou se fermaient, un brouhaha de fugitifs se cachant sous leur lit ou se précipitant au bas de l’escalier ; le moins alerte, qu’on attrapait par les oreilles, payait pour tout le monde.