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Mais de toutes les corvées qu’on leur imposait, la plus désagréable était d’aider les grands à faire leurs devoirs. Pour se faciliter la préparation de leur Horace ou de leur Homère, les collégiens d’Eton, comme cela se pratique ailleurs, se procuraient clandestinement des traductions de contrebande ou d’anciens cahiers de corrigés. Un fag leur faisait la dictée. Un autre, placé en sentinelle dans le corridor, y montait la garde. Malheur à lui s’il oubliait de siffler pour avertir les délinquans de l’arrivée du maître de pension qui faisait sa ronde, prêt à rafler de ses mains crochues les traductions prohibées ; les bouteilles de bière et les jeux de cartes !

Le métier de fag n’est pas toujours commode. Ce qui en adoucit les amertumes, c’est qu’aucun élève, quel que soit son nom, son rang et sa fortune, ne s’y peut dérober : « La dignité d’un collégien requinqué, dit M. Brinsley, ne paraît pas à son avantage quand on le voit traverser une rue très passante avec un grand plat couvert, dont la sauce dégoutte sur le pavé ; mais la dignité était une plume qu’on ne pouvait mettre à son chapeau qu’en entrant dans la cinquième classe. J’ai vu celui qui est aujourd’hui le marquis de Waterford porter gaîment un plat d’œufs et de lard destiné au fils d’un avoué, et le comte de Roseberry descendre rapidement une rue en tenant sous son bras la culotte d’un fils de pasteur. J’ai prêté un matin huit sous à un élève des petites classes qui avait oublié sa bourse et qui devait acheter quelques harengs fumés pour son fag-master ; cet élève était l’héritier du duc de Marlborough. »

Une consolation plus précieuse était de penser que le moment viendrait bientôt où, après avoir obéi, on aurait le plaisir de commander. M. Brinsley nous assure que la première, fois qu’il fit faire une course à son fag, son cœur s’épanouit dans la joie. Il ajoute sur un ton de contrition qu’il n’usa pas toujours discrètement de son omnipotence, qu’il adopta bien vite des allures de pacha, avare de ses mouvemens et mettant à contribution sans scrupule les bras et les jambes d’autrui. Le fagging est une coutume qui peut avoir ses bons côtés. Il n’est pas prouvé que ce pauvre monde valût plus qu’il ne vaut si on en supprimait tous les abus. Mais celui-là n’est pas dans nos mœurs. Nous ne respectons que les droits écrits, nous avons la fureur de l’écriture ; le Français est le moins coutumier des peuples. Il en coûte à tel de nos lycéens d’obéir à un maître d’étude qu’il aime peu, il lui en coûterait davantage d’obéir à celui de ses camarades qu’il aime le plus.

Un autre usage des collèges anglais dont nos lycéens s’accommoderaient difficilement est le flagging. Ce substantif dérive du verbe flag, qui signifie fouetter. M. Brinsley confesse que la première exécution à laquelle il assista le mit hors de lui et qu’il sentit son cœur bondir dans sa poitrine, comme un oiseau effaré qui cherche à sortir de sa