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résolut de récompenser une si louable persévérance, et ce fut dans le réfectoire du couvent, en présence des moines rangés en cercle et béans d’admiration, qu’il le fessa vigoureusement, après quoi, la bouche en cœur, il lui fit cadeau d’un Guide Murray. Cette histoire n’est qu’une légende ; il paraît prouvé que M. Goodford fit grâce. En revanche, il est également certain que le matin de la Saint-André, il fouetta dru et ferme sir Frederick Johnstone, qu’il avait prié à déjeuner pour ce jour-là. Dix minutes après l’exécution, son invité se présentait chez lui, et M. Goodford lui disait avec une aimable bonhomie : « Eh bien ! Johnstone, nous voilà de nouveau réunis ! » Avions-nous tort d’avancer que si on transportait nos lycéens dans les enchantemens du paradis d’Eton, ils auraient quelque peine à s’y acclimater ? Peut-être s’écrieraient-ils d’une seule voix : Qu’on nous reconduise bien vite aux carrières ! Dieu sait pourtant s’ils les maudissent ; mais il n’est pas de tyrannie qu’ils n’acceptassent plus volontiers qu’une liberté tempérée par la crainte du fouet.

Nos boursiers, plus que d’autres, se trouveraient mal du séjour des collèges anglais. Le Français qui découvre pour la première fois que les voitures de louage ne pénètrent pas dans les parcs de Londres et que l’accès n’en est permis qu’aux équipages de maîtres, ne peut s’empêcher de trouver que la promenade au bois de Boulogne a bien du charme. On peut croire aussi que ceux de nos collégiens à qui l’état accorde des secours pour faire leurs études sont heureux d’être traités par leurs camarades sur un pied d’égalité, qu’ils se sentiraient mal à leur aise dans des établissemens où ils seraient considérés comme une espèce subalterne. Les élèves d’Eton se divisent en oppidans, qui font leurs études à leurs frais, et en King’s scholars, ou collegers, qui sont logés, nourris, instruits gratuitement. Ces derniers, à qui on donne le sobriquet de tugs, sont regardés de haut en bas. M. Brinsley, dans ses heures de réflexion, s’étonnait du mépris qu’on leur témoignait et qu’ils lui inspiraient à lui-même. « La cause de ce mépris, nous dit-il, est que les tugs appartenaient pour la plupart à des familles peu fortunées, qu’ils portaient des robes, qu’ils n’avaient pas le droit d’entrée dans les canots, qu’ils avaient à remplir quelques offices déclarés dégradans, qu’ils vivaient à part et que leur nourriture était de qualité inférieure. » Il est vrai que, pour les réconforter, les maîtres de pension leur faisaient de loin en loin des distributions de pâtés ; mais, crainte des malandrins et des pillards, ils les mangeaient en cachette, à la tombée de la nuit, dans quelque endroit retiré et solitaire. Quoique ces infortunés eussent souvent plus d’instruction que les oppidans, quoiqu’ils gagnassent beaucoup de prix, quoiqu’ils eussent beaucoup de succès dans les examens, ils étaient exposés à mainte avanie ; on les recevait partout comme des chiens dans un jeu de quilles. Un tug s’aventurait-il dans une pension