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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/695

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d’oppidans, on le voyait l’instant d’après redescendre précipitamment l’escalier, sa grande robe flottant en désordre derrière lui, fort empêché de se défendre contre la grêle de projectiles, bottes, bottines et pantoufles, qui s’abattaient de toutes parts sur ses épaules et son chapeau. M. Brinsley est disposé à croire que désormais il n’en est plus ainsi, que les boursiers d’Eton ont moins de mortifications et d’affronts à endurer. Nous aimons à le croire comme lui et nous voudrions en être sûrs.

Cependant, toutes réserves faites, il faut convenir qu’à bien des égards la vie que mènent les collégiens anglais est propre à faire envie aux nôtres. Ils ont de la place pour se mouvoir, de l’espace pour s’ébattre, du vert pour récréer leurs yeux, de l’air pour leurs poumons. Qui conque lira le gracieux livre intitulé les Années de collège de Tom Brown[1], ou l’agréable récit de M. Brinsley, gardera à jamais le souvenir de certaines parties de cricket, de certains concours nautiques dont il fut longtemps parlé à Rugby ou à Eton et de la joie qu’éprouvaient vainqueurs et vaincus à conter leurs prouesses. On est même tenté de se demander si cette vie agitée et essoufflée, remuante et courante, laisse assez d’heures au recueillement de l’étude. M. Brinsley a connu parmi ses camarades de rudes piocheurs qui ne se laissaient jamais distraire ni dissiper ; mais, de son aveu, ces grands abatteurs d’ouvrage étaient une exception. Quant aux dry-bobs, ou forts joueurs de balle, et aux wet-bobs, ou intrépides canotiers, ils auraient dit volontiers comme Tom Brown : « Mon affaire est d’être le premier à tous les jeux ; je désire aussi que mes mains puissent me protéger contre tout agresseur, rustre ou gentleman ; mais j’entends n’emporter d’ici que juste assez de grec et de latin pour ne pas faire une triste figure à Oxford. »

C’était bien pis trente-six ans auparavant, quand M. Gladstone, en 1821, fit son entrée à Eton. Il eut besoin de déployer toute l’énergie de sa volonté pour résister aux tentations. Il y eut d’autant plus de mérite qu’il logeait chez une Mrs Shurey, dont la maison était située en face de la fameuse auberge de Christophe, où des diligences et des chaises de poste arrivaient chaque jour de tous les points de l’horizon. Le vendredi, jour de marché, les fermiers y prenaient leurs repas ; gentilshommes campagnards, marchands de bestiaux, colporteurs, sergens recruteurs, villageoises en quête de placés s’attroupaient sous le porche. De leurs fenêtres grillées les pensionnaires de Mrs Shurey contemplaient ces spectacles, et leur sommeil était souvent troublé par les chœurs discordans dont retentissait la salle à boire.

  1. Tom Brown’s School Days, by an old boy. Cet ouvrage a été traduit en français par M. J. Levoisin. Paris, Hachette, 1876.