caractère déjà formé. » Mais que sert de bouder contre son écuelle ? Les parens qui voudraient que, dans nos lycées, la règle fût moins austère et l’éducation plus paternelle demandent l’impossible. Tant que nos grands internats se trouveront installés au cœur de Paris, tant que nos enfans seront entassés en fourmilières dans un espace trop étroit, une discipline rigide et minutieuse sera nécessaire pour les tenir en respect, et nos proviseurs ne pourront s’occuper d’élever leurs pensionnaires ; ils auront assez à faire de les gouverner.
La question est de savoir si cette discipline rigoureuse, qui est l’indispensable accompagnement de notre système d’internat, pourra toujours se maintenir. C’est une chose très compliquée que de gouverner une communauté composée de centaines et de centaines de collégiens, d’autant plus qu’un collégien est déjà par lui-même un être très compliqué. Aux idées confuses qu’il se fait de toutes choses il joint une idée très nette de sa dignité et de l’importance de son moi. Dans le charmant discours qu’il prononça en 1874 au banquet des anciens élèves du lycée Fontanes, M. Guillaume Guizot remarquait avec sa finesse accoutumée que, jusqu’au jour où l’enfant entre en classe, il n’est qu’un chiffre perdu dans ce total qui s’appelle la famille, sans qu’il sache pour combien il compte. C’est le collège qui le lui apprend. Il a désormais son histoire propre, son monde à lui, sa chronique quotidienne, et pour la raconter, son argot qu’il professe et qu’il explique. « En arrivant au collège, ajoutait M. Guizot, chacun de nous a commencé à être quelqu’un. Un enfant de neuf ans me racontait un jour un grave accident survenu à sa mère. Le récit était long et embrouillé, les détails s’accumulaient et se répétaient. Le petit narrateur ne pouvait pas en finir, lorsque tout à coup ses yeux brillent et il s’arrête court sur cette péroraison sublime : « Et moi, j’ai reconduit l’apothicaire ! » Il avait enfin trouvé un rôle pour lui dans son récit ; il avait reconduit l’apothicaire, il était content, il était quelqu’un. Nous avons tous passé par là, et notre première entrée en classe est une date importante dans toute notre vie, parce qu’elle a été notre première entrée dans une vie personnelle. »
Mais si, dans tous les temps, les collégiens ont été sujets à se prendre au sérieux, à se regarder comme des personnages, nous encourageons singulièrement cette disposition par les nouvelles méthodes et les nouveaux programmes que nous avons introduits dans l’enseignement secondaire. Autrefois, leurs instituteurs tâchaient de s’accommoder à leur intelligence, ils s’abaissaient pour se mettre à leur portée, ils ne visaient qu’à leur donner de bons commencemens, ils les nourrissaient de lait ou d’une viande