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pauvres tous les objets de nécessité première. Nous les payons quarante sous par jour pour assister aux assemblées de section et trois francs par jour pour être membres des comités de surveillance. Nous recrutons parmi eux l’armée révolutionnaire[1]; nous choisissons parmi eux les innombrables gardiens des séquestres : de cette façon, les sans-culottes par centaines de mille entrent dans les services publics. — Enfin voici les misérables tirés de la misère ; chacun d’eux aura maintenant son champ, son traitement ou sa pension : « dans une république bien ordonnée, personne n’est sans quelque propriété[2]. » Désormais, entre les particuliers, la différence du bien-être sera petite; du maximum au minimum, il n’y aura qu’un degré, et l’on trouvera dans toutes les maisons à peu près le même ménage, un ménage réduit et simple, celui du petit propriétaire rural, du fermier aisé ou de l’artisan-maître, celui de Rousseau à Montmorency, celui du vicaire savoyard, celui de Duplay, le menuisier chez qui loge Robespierre[3]. Plus de domesticité : « il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie[4]. » — « Celui qui travaille pour un citoyen est de sa famille et mange avec lui[5]. » — Par cette transformation des conditions basses aux conditions moyennes, nous rendons la dignité aux âmes, et du prolétaire, du valet, du manœuvre, nous commençons à dégager le citoyen.


VII.

Deux obstacles principaux empêchent le civisme de se développer, et le premier est l’égoïsme. Tandis que le citoyen préfère la communauté à lui-même, l’égoïste se préfère même à la communauté. Il ne songe qu’à son intérêt propre, il ne tient pas compte des besoins publics, il ne voit pas les droits supérieurs

  1. Décret du 2-5 avril 1793. « Il sera formé dans chaque grande commune une garde de citoyens choisis parmi les moins fortunés. Ces citoyens seront armés et salariés aux frais de la république. »
  2. Moniteur, XX, 449. (Rapport de Barère, 22 floréal an II.)
  3. Moniteur, XIX, 689. (Rapport de Saint-Just, 23 ventôse an II.) « Nous vous parlâmes du bonheur; ce n’est point le bonheur de Persépolis que nous vous offrîmes; c’est celui de Sparte et d’Athènes dans leurs beaux jours, le bonheur de la vertu, celui de l’aisance et de la médiocrité, le bonheur qui naît de la jouissance du nécessaire sans superfluité, ou la volupté d’une cabane et d’un champ fertilisé par vos mains. Une charrue, une chaumière à l’abri du froid, une famille à l’abri de la lubricité d’un brigand, voilà le bonheur. »
  4. Buchez et Roux, XXXI, 402. (Constitution de 1793.)
  5. Ibid., XXIV, 310. (Institutions, par Saint-Just.)