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qui priment son droit dérivé. Il suppose que sa propriété est à lui sans restriction, ni condition, il oublie que, s’il lui est permis d’en user, ce ne peut jamais être au détriment d’autrui[1]. Ainsi font à présent, même dans la classe moyenne ou basse, les possesseurs d’objets nécessaires à la vie. Plus le besoin croît, plus ils haussent leurs prix; bientôt ils ne consentent à vendre qu’a un taux exorbitant; bien pis, ils cessent de vendre et entassent leurs produits ou leurs marchandises, dans l’espoir qu’en attendant ils vendront encore plus cher. Par là ils spéculent sur les nécessités d’autrui, ils empirent la misère générale, ils deviennent des ennemis publics. Ennemis publics, presque tous les agriculteurs, industriels et commerçans le sont aujourd’hui, les petits comme les gros, fermiers, métayers, maraîchers, cultivateurs de tout degré, et aussi les artisans maîtres, les boutiquiers, notamment les débitans de vin, les boulangers et les bouchers. « Tous les marchands sont essentiellement contre-révolutionnaires et vendraient leur parie pour quelques sous de bénéfice[2]. Nous ne souffrirons pas ce brigandage légal. Puisque « l’agriculture[3] n’a rien fait pour la liberté et n’a cherché qu’à grossir ses profits, » nous la mettrons en surveillance et, s’il le faut, en régie. Puisque «le commerce est devenu une espère de tyran avare, » puisqu’il « s’est paralysé lui-même, » et que « par une sorte de dépit contre-révolutionnaire, il a négligé la fabrication, la manipulation et l’envoi des diverses matières, » nous déjouerons les calculs de sa barbare arithmétique, nous le purgerons du levain aristocratique et corrupteur qui le tourmente Nous faisons de l’accaparement « un crime capital[4], nous appelons accapareur celui qui dérobe à la circulation des marchandises ou denrées de première nécessité, » et « les tient enfermées

  1. Buchez et Roux, XXVI, 93 et 131. Discours de Robespierre sur la propriété (24 avril 1793), et déclarations des droits adoptée par la société des jacobins. — Mallet-Dupan, Mémoires, I, 401. (Discours d’une députation du Gard.) « Les richesses réelles n’appartiennent en toute propriété à aucun membre distinct du corps social, non plus que les pernicieux métaux frappés aux coins monétaires. »
  2. Moniteur XVIII, 452. (Discours d’Hébert aux jacobins, 26 brumaire an II). Un Séjour en France de 1792 à 1795, 218. (Amiens, 4 octobre 1794.) « Comme j’attendais ce matin à la porte d’une boutique, j’écoutais un mendiant qui marchandait une tranche de citrouille. Ne pouvant s’accorder sur le prix avec la revendeuse, il lui dit qu’elle était « gangrenée d’aristocratie. — Je vous en défie, » répondit-elle. Mais tout en parlant, elle devint pâle et ajouta : « Mon civisme est à toute épreuve… Mais prends donc ta citrouille. — Ah ! te voilà bonne républicaine ! » dit le mendiant. »
  3. Moniteur, XVIII, 320. (Séance du 4 brumaire an II. Rapport de Barère) — Meillan, 17 (déjà avant le 31 mai) : « La tribune ne retentissait que du reproche d’accaparement, et tout homme était accapareur qui n’était pas réduit à vivre de sa journée ou d’aumône. »
  4. Décrets du 11 et du 29 septembre 1793, décrets du 26 juillet 1793, du 11 brumaire et du 6 ventôse an II.