Tandis que l’armée prend l’ordre de bataille pour faire halte, cinquante Croates, lancés en avant, éclairent les deux routes. Plusieurs « manches » de mousquetaires, enfans perdus, conduits par les sergents-majors des régimens[1], se répandent dans les bois et les fouillent, se servant des sentiers frayés par les pâtres et les bestiaux. L’avant-garde commandée par Gassion (quinze cents chevaux) suit le mouvement par la route de droite. Nul ennemi dans les bois. En arrivant au terrain découvert, nos éclaireurs rencontrent les premières vedettes espagnoles, soutenues par de petits postes qui sont facilement délogés par Gassion. Celui-ci déploie sa troupe, et marchant sur les traces des gardes ennemies en retraite, arrive au sommet de la pente, d’où il découvre, à 2,500 mètres environ, le clocher de Rocroy et quelques-uns des camps de l’ennemi. Déjà il peut voir aux abords de la place des troupes qui s’agitent.
Chevers, maréchal des logis de la cavalerie, est allé au galop informer le général en chef que les chemins sont libres, les abords du plateau dégagés et que l’armée espagnole n’est ni retranchée ni même rassemblée. Bientôt M. le Duc rejoint l’avant-garde avec deux mille chevaux de l’aile droite et les mousquetaires qui ont fouillé les bois. Il ne perd pas un instant pour jalonner sa ligne de combat ; car il a été si prompt, si habile et si heureux, que déjà il tient la position signalée par Gassion, et où il rêvait plutôt qu’il n’espérait de pouvoir livrer bataille.
Les fusiliers à cheval sont à gauche au-dessus d’un petit étang ; à droite, les Croates occupent une hauteur au milieu de bouquets de bois clairsemés. La cavalerie de l’aile droite se déploie en ordre étendu entre ces deux troupes, et les manches de mousquetaires se placent dans les intervalles des escadrons. Au-delà d’un pli de terrain où se sont arrêtées les vedettes espagnoles, le duc d’Anguien distingue en face de lui un groupe de cavaliers qui observent.
C’est don Francisco Melo, que nous avons laissé entouré de ses généraux, en avant de son front de bandière, cherchant à deviner l’importance, la profondeur de cette ligne serrée d’infanterie et de cavalerie, qui vient de se déployer sur la crête où il avait songé à porter son armée. Il était environ deux heures de l’après-midi.
Cependant la tête de l’infanterie française débouche du bois, tandis que le second corps de cavalerie arrive par la gauche. Les officiers-généraux et l’état-major se rendent auprès du général en chef. Celui-ci, jugeant que le terrain jalonné est trop étroit et qu’une de ses ailes pourrait être facilement tournée, pousse les Croates à droite et les fait soutenir par les cuirassiers de Gassion, car c’est la
- ↑ Adjudans-majors de nos jours.