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visibles dans la structure externe ; elle s’accuse surtout dans le visage, l’expression ou les traits de la physionomie. Les Romains aimaient à marquer par des noms expressifs ces signes héréditaires dans les familles. Les héritiers des grands nez, des grosses lèvres, des grandes bouches ou des grosses têtes s’appelaient les Nasones, les Labeones, les Buccones, les Capitones. L’histoire moderne n’a pas dédaigné de noter en passant, en Autriche et en France, la lèvre des Habsbourg et le nez des Bourbons. — C’est à propos d’un trait de ce genre, persistant avec une fidélité implacable à travers des égaremens sans nombre et devenu comme le signalement des branches clandestines d’une famille, qu’un homme d’esprit disait plaisamment au dernier siècle : « Le monde oublie. Dieu pardonne, mais le nez reste. » — L’analogie de la taille se remarque aussi comme un signe héréditaire. C’est ainsi que, depuis un siècle et demi, les éleveurs anglais ont créé une race de chevaux moulée sur le même modèle et présentant à peu de chose près, avec de remarquables aptitudes, la même configuration physique. Le père de Frédéric II, Guillaume Ier, un grand éleveur à sa manière, pratiquait la sélection pour assurer dans l’avenir le recrutement du régiment de ses gardes, et ne tolérait le mariage, dans ce corps de géans, qu’avec des femmes d’une taille égale. Mêmes ressemblances dans la conformation interne, dans le volume, la structure, les analogies du système osseux, les proportions du crâne, du thorax, du bassin, de la colonne vertébrale, les particularités du système nerveux, de la force musculaire et de l’activité motrice. Les anciens avaient des familles d’athlètes ; les Anglais ont des familles de boxeurs, de lutteurs, de rameurs. Les familles de chanteurs sont nombreuses, et encore plus nombreuses celles qui sont rebelles authentiquement à la mélodie. Un des cas les plus curieux est relatif à la durée de la vie. Dans certaines familles, une mort précoce est si ordinaire qu’il est très difficile à un petit nombre d’individus de s’y soustraire. Chez les Turgot, on ne dépassait guère l’âge de cinquante ans. Turgot, voyant approcher cette époque fatale, malgré toute l’apparence d’une bonne santé et d’une grande vigueur de tempérament, comprit qu’il était temps de mettre ordre à ses affaires ; il s’empressa d’achever un travail qu’il avait commencé et mourut, en effet, à cinquante-trois ans. La longévité est également héréditaire. Le 5 janvier 1724, mourait en Hongrie, dans le banat de Temeswar, un cultivateur âgé de cent quatre-vingt-cinq ans, qui avait vu changer deux fois le millésime séculaire. Le cadet de ses fils avait, au moment de sa mort, quatre-vingt-dix-sept ans, l’aîné cent cinquante-cinq ans. Ces longévités extraordinaires et qui suivent les familles sont de tous les pays et de tous les temps[1]. — Il y a

  1. Littré, Médecine et Médecins, p. 371.