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Rien de plus navrant que de suivre ainsi les destinées d’une famille à la trace du sang à travers trois ou quatre générations.

À côté des troubles nerveux viendraient prendre place les variétés pathologiques de l’activité sensorielle de la vue, de l’odorat, de l’ouïe, les perversions du goût, les cas singuliers d’anesthésie ou d’hyperesthésie nerveuse. Il y a des familles où l’on naît gaucher. La sensibilité tactile est raffinée et délicate à l’excès chez les peuples du Midi ; elle est généralement obtuse dans les races du Nord, La peau du Lapon est extrêmement peu sensible. Là, dit Montesquieu, « il faut écorcher l’homme pour le faire sentir. » On cite, au contraire, dans d’autres contrées, des personnes qui ne peuvent supporter le simple contact ou même l’approche d’objets comme la soie, le liège. Cette forme de sensibilité maladive se transmet aux enfans et devient héréditaire. — Il en est de même pour la transmission des modes sensoriels de la vue, soit qu’ils tiennent à des causes mécaniques, soit qu’ils proviennent d’une excitation ou d’une dépression de l’élément nerveux. C’est un fait avéré, selon Liebreich, que la myopie est en voie continuelle d’accroissement dans les pays civilisés. Ce qui l’amène, c’est le travail assidu de près, la lecture, le travail intellectuel, et de plus elle se transmet. Aussi en Allemagne, où ce genre de travail est un élément si important de la vie nationale, on a dû renoncer à faire de la myopie une cause de réforme devant les conseils de révision.

M. Guillemot, dans un travail curieux sur l’Hérédité de quelques lésions acquises, note ce fait de races diverses d’animaux, tous aveugles, vivant dans les cavernes de la Carniole et du Kentucky. Le défaut d’exercice a longtemps agi sur les générations successives de ces animaux et a fini par aboutir à l’anesthésie totale, la cécité. — Chez l’homme, les aveugles de naissance proviennent souvent de parens aveugles. Dufau cite vingt et un aveugles dont les ascendans, père, mère, grands-parens, oncles, avaient quelque affection grave des yeux. — Le daltonisme, l’incapacité de distinguer les couleurs, est transmissible au plus haut degré. Dans huit familles alliées, cette infirmité du sens de la vue a persisté pendant cinq générations et atteint soixante et onze individus. — Au contraire, dans certaines races et chez certaines familles, l’usage accumulé et transmis pendant plusieurs générations développe la vision d’une façon extraordinaire. Darwin nous donne l’exemple des habitans de la Terre-de-Feu, qui, à bord de son navire, voyaient des objets à une distance considérable, où n’atteignait pas le regard exercé des matelots anglais. Pallas, le voyageur, raconte que les Mongoliens des plaines du Nord peuvent voir à l’œil nu les satellites de Jupiter. — Les mêmes observations ont été faites sur les variétés héréditaires des sensations de l’ouïe, de l’odorat et du goût. Gratiolet raconte