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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/771

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contiennent pas une énumération complète, mais seulement un choix des cas les plus significatifs. Ce qui importe, en effet, c’est la qualité des expériences, non leur quantité. Eh bien ! nous avouons qu’à chaque lecture nouvelle que nous avons faite de ces tableaux où ont été enregistrés avec tant de soin les cas d’hérédité du talent ou du génie, nous avons été de moins en moins convaincus. Il est bien peu de ces exemples où l’on puisse voir ces expérimenta lucifera que demandait Bacon, et qui, même restreints à des cas isolés, dominent l’esprit en l’éclairant. Prenons d’abord l’imagination créatrice, celle qui fait les poètes, les musiciens et les peintres. Sur cinquante et un poètes nous en trouvons vingt et un qui ont eu des parens remarquables. Mais qu’appelle-t-on des parens remarquables ? Sont-ce des poètes ? Cela seul aurait une signification. Je prends au hasard quelques noms dans la liste : « Burns paraît avoir reçu de sa mère cette excessive sensibilité qui a fait de lui un des premiers poètes de l’Angleterre. — Chaucer, l’un des fondateurs de la poésie anglaise : son fils, sir Thomas, speaker de la chambre des communes, ambassadeur en France. — Henri Heine peut être rapproché de son oncle Salomon Heine, célèbre philanthrope allemand. » Quels rapprochemens inattendus ! La liste des peintres produit de meilleurs exemples. Sur une liste de quarante-deux peintres, italiens, espagnols ou flamands, M. Galton en a trouvé vingt et un qui se rattachent à des parentés célèbres. Parmi les musiciens, la famille des Bach est le plus beau cas d’hérédité spéciale que l’on puisse citer. Elle commence en 1550 et traverse huit générations. Nous verrons tout à l’heure si, dans ces sortes de dynasties de peintres et de musiciens, l’hérédité explique tout, et si d’autres causes n’ont pas concouru à ce résultat. De l’imagination nous passons à l’intelligence proprement dite, qui comprend la réflexion, l’érudition, le goût, la faculté critique, le sens de l’observation, la science inventive. On peut établir deux catégories parmi ceux chez qui prédomine l’intelligence pure. Dans la première, on rangera les savans, les philosophes, les économistes ; dans la seconde, les écrivains proprement dits, historiens et critiques. Les familles scientifiques ne sont pas rares. On cite volontiers la race célèbre des Bernouilli, qui a produit en si peu de temps un si grand nombre de mathématiciens, de physiciens et de naturalistes. En revanche, on avoue que l’hérédité chez les philosophes est rare, mais on en donne une raison assez péremptoire : pour ne parler que des temps modernes, Descartes, Leibniz, Malebranche, Kant, Spinoza, Hume, A. Comte, Schopenhauer, n’ont pas été mariés ou n’ont pas eu d’enfans. Parmi les écrivains et les lettrés, on remarque sur une liste beaucoup trop longue et surchargée d’exemples douteux, quelques noms dignes d’être signalés, comme ceux des Sénèque, des Casaubon, des Etienne,