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peuvent concourir, elle manque de vérification sérieuse ? Et, en effet, que de faits étranges, incertains ! Que de parentés douteuses et vagues dans l’ordre de l’intelligence ! Que de relations peu authentiques entre diverses manières d’avoir de l’esprit, ou du bon sens, ou du talent ou du génie ! L’immense multitude des faits insignifians, douteux ou négatifs, déborde l’observateur, échappe à ses prises et laisse dans la théorie des vides irréparables qui la faussent ou la brisent.

M. Galton a essayé de serrer de plus près ces résultats de l’hérédité mentale : « Il y a, dit-il, actuellement dans les Iles-Britanniques deux millions de mâles au-dessus de cinquante ans ; parmi eux, j’en trouve huit cent cinquante illustres et cinq cents éminens. Sur un million d’hommes, il y en aura donc quatre cent vingt-cinq illustres et deux cent cinquante éminens. Étant donné un homme éminent ou illustre, quelle chance avons-nous de lui trouver un père, un grand père, un petit-fils, un frère, un neveu, un petit-neveu éminent ou illustre ? » M. Galton a étudié d’abord les familles des huit juges d’Angleterre, qui constituent la plus haute magistrature anglaise (de 1660 à 1865). Ce travail s’est étendu sur deux cent quatre-vingt-six juges, et parmi eux l’auteur en a trouvé cent douze qui ont eu un ou plusieurs parens illustres. Puis il a porté ses recherches sur sept groupes : hommes d’état, généraux, littérateurs, savans, poètes, artistes, ecclésiastiques protestans. Il a étudié environ trois cents familles, qui contiennent entre elles près de mille hommes remarquables, parmi lesquelles environ quatre cent quinze illustres. D’après ces nombres comparés entre eux, la chance qu’un homme remarquable ait des parens qui le soient aussi serait pour le père de 31 pour 100 ; pour les frères, de 41 pour 100 ; pour les fils, de 48 pour 100. Mais, qu’on le remarque, ce ne sont pas des lois, ce sont uniquement des moyennes, établies sur un grand nombre de chiffres différens et qui, dès lors, ne peuvent pas conduire à la détermination quantitative, c’est-à-dire à la certitude, ni à la prévision[1]. C’est un objet de curiosité plutôt que de science : « Cette recherche statistique sur l’hérédité ne tient pas ce qu’elle promet, dit très bien M. Ribot… La détermination quantitative n’existe que dans les mathématiques et une partie de la physique ; elle n’a pas encore pénétré dans la biologie ; comment donc arriverait-elle jusqu’aux sciences morales et sociales ? Il est même douteux que jamais elle y parvienne. Le chiffre est un instrument à la fois trop grossier pour effiler la fine trame des phénomènes et trop fragile pour pénétrer bien avant dans leur nature si compliquée et si multiple. Avec sa précision apparente, il s’en tient à la surface ; car

  1. L’Hérédité psychologique, IIe partie, chap. III.