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vocation irrésistible qui s’impose au jeune homme entrant dans la vie ; mais la preuve que ces goûts et ces vocations ne sont pas héréditaires, c’est qu’ils sont très souvent aux antipodes des habitudes paternelles et qu’ils diffèrent beaucoup entre deux frères ; ce sont souvent les produits d’une imagination active, sollicitée par certains attraits qu’elle s’est forgés à elle-même, ou des phénomènes de suggestion, par suite de quelque conversation ou de quelque lecture entraînante. Il reste donc une grande part aux circonstances et à la liberté dans l’emploi des facultés qu’on a reçues. « L’homme doué d’une forte dose de persévérance, d’attention, de jugement, sans beaucoup de déficit dans les autres facultés, sera jurisconsulte, historien, érudit, chimiste, géologue ou médecin, selon sa volonté déterminée par une foule de circonstances. Dans chacune de ces occupations, il avancera en raison de sa force, de son zèle et de la concentration de son énergie sur une seule spécialité. Je crois peu à la nécessité des vocations innées et impérieuses pour des objets spéciaux. Ce n’est pas, comme on voit, nier l’influence de l’hérédité, c’est la réduire à quelque chose de très général, compatible avec la liberté de l’individu, et pouvant fléchir ou se modifier suivant toutes les influences ultérieures, dont l’action augmente à mesure que l’enfant devient homme. » D’ailleurs même quand il semble que l’hérédité mentale s’accomplit, on remarquera qu’elle suit les grandes catégories de facultés plutôt que les facultés spéciales. Ainsi, rien de plus facile à trouver que deux frères, ou un père et un fils, célèbres l’un dans les sciences naturelles, l’autre dans les sciences historiques et sociales : les deux Humboldt ; OErsted et son frère, jurisconsulte ; Hugo de Mohl, botaniste, frère de Jules de Mohl, orientaliste ; Mme Necker, auteur de l’Éducation progressive, fille du géologue de Saussure ; Ampère, érudit et littérateur, fils du physicien. S’il y avait une hérédité spéciale, propre à chaque science, ces exemples seraient inexplicables ; ils sont tout naturels, au contraire, si l’on admet seulement une transmission de facultés générales, applicables à toutes les sciences dont les méthodes sont analogues.

La célébrité, qui est la pierre de touche de M. Galton, malgré le vague de l’interprétation que ce mot comporte, est moins héréditaire encore que la spécialité. Elle n’est jamais qu’une exception, déterminée par plusieurs causes réunies. Pour qu’un homme devienne célèbre, il ne suffit pas qu’il soit doué d’une grande capacité ; il lui faut encore des circonstances favorables. L’hérédité n’est pour rien dans tout cela, ou du moins elle n’a qu’une influence très accessoire. « Aussi est-ce un des préjugés les plus faux, quoique l’un des plus ordinaires, de croire, par exemple, que les descendans