pas même obtenir cet honneur. » Par degrés, toutes les pratiques de la vie courante prennent le tour démocratique. Défense aux détenus riches d’acheter des douceurs ou de se procurer des commodités particulières; ils mangent avec les détenus pauvres la même pitance à la même gamelle[1]. Ordre aux boulangers de ne fabriquer qu’une qualité de pain, le pain gris dit pain d’égalité, et, pour recevoir sa ration, chacun fait queue à son rang dans la foule. Aux jours de fête, chaque particulier descend ses provisions et dîne en famille avec ses voisins dans la rue[2] ; le décadi, tous chantent ensemble et dansent pêle-mêle dans le temple de l’Etre suprême. Les décrets de la Convention et les arrêtés des représentans imposent aux femmes la cocarde républicaine ; l’esprit public et l’exemple imposent, aux hommes la tenue et le costume des sans-culottes ; on voit jusqu’aux muscadins porter moustaches, cheveux longs, bonnet rouge, carmagnole, sabots ou gros souliers[3]. Personne ne dit plus à personne monsieur ou madame ; citoyen ou citoyenne sont les seuls titres permis, et le tutoiement est de règle. Une familiarité rude remplace la politesse monarchique; tous s’abordent en égaux et en camarades. Il n’y a plus qu’un ton, un style, une langue : les formules révolutionnaires font le tissu des discours comme des écrits ; il semble que les hommes ne puissent plus penser qu’avec nos idées et nos phrases. Les noms eux-mêmes sont transformés, noms des mois et des jours, noms des lieux et des monumens, noms de
- ↑ Moniteur, XVIII, 326. (Séance de la Commune, 11 brumaire an II.) Le commissaire annonce qu’à Fontainebleau et autres lieux, « il a fait établir le régime d’égalité dans les prisons et maisons d’arrêt, où le riche et le pauvre sa partagent les mêmes alimens. » — Ibid., 210. (Séance des jacobins, 29 vendémiaire an II, discours de Laplanche sur sa mission dans le Gers.) « Des prêtres avaient toutes leurs commodités dans les maisons de réclusion; les sans-culottes couchaient sur la paille dans les prisons. Les premiers m’ont fourni des matelas pour les derniers. » — Moniteur, XVIII, 445. (Séance de la Convention, 26 brumaire an II.) « La Convention décrète que la nourriture des personnes détenues dans les maisons d’arrêt sera frugale et la même pour tous, le riche payant pour le pauvre. »
- ↑ Archives nationales. (AFII, 37, arrêté de Lequinio, Saintes, 1er nivôse an II.) « Dans toutes les communes, tous les citoyens sont invités à célébrer le jour de la décade par un banquet fraternel qui, servi sans luxe et sans apprêts,.. fasse oublier à l’homme de peine les fatigues et à l’indigent la misère qu’il éprouve, qui porte dans l’âme du pauvre et du malheureux le sentiment de l’égalité sociale et l’élève à toute la hauteur de sa dignité, qui étouffe dans le riche jusqu’au plus léger sentiment d’orgueil, et jusqu’au germe de hauteur et d’aristocratie dans le fonctionnaire public. »
- ↑ Archives nationales, AFII, II, 4e. (Arrêté du 25 floréal an II.) « Le Comité de salut public invite David, représentant du peuple, à lui présenter ses vues et ses projets sur les moyens d’améliorer le costume national actuel, et de l’approprier aux mœurs républicaines et au caractère de la révolution. » — Ibid. (Arrêté du 5 prairial an II,) peur faire graver et colorier à 20,000 exemplaires le modèle de costume civil, et à 6,000 exemplaires les trois modèles de costumes militaire, judiciaire et législatif.