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Même ainsi entendu, le coût de la vie pour l’ouvrier et l’ouvrière de Paris est assez difficile à fixer, et cela faute de documens. A Mulhouse, la Société industrielle publie tous les dix ans le résultat d’une enquête entreprise par elle sur la situation matérielle et morale des ouvriers de la ville, sur leurs salaires et leurs dépenses. A Paris, rien de semblable. Les monographies publiées dans les Ouvriers européens et dans les Ouvriers des deux mondes, suivant la méthode si ingénieuse de M. Le Play, ne peuvent, malgré les intéressans renseignemens qu’elles contiennent, tenir lieu d’une semblable enquête, car elles sont malheureusement en trop petit nombre, et beaucoup de date trop ancienne[1]. À cette insuffisance je m’efforcerai de pourvoir à l’aide des quelques indications que j’ai pu recueillir moi-même et que je classerai dans l’ordre très judicieux adopté par la Société mulhousienne dans sa dernière enquête décennale : dépenses relatives au logement, à la nourriture, au vêtement, et enfin dépenses diverses.

Depuis qu’il y a deux ans j’ai signalé (non pas le premier assurément) les conditions déplorables où est logée une grande partie de la population parisienne, la question des loyers n’a cessé de figurer dans les préoccupations de beaucoup d’esprits. Elle a été discutée au point de vue hygiénique dans les réunions de l’Académie de médecine, et au point de vue social dans les séances de l’Académie des sciences morales. Elle a fourni le thème d’intéressantes conférences aux économistes qui espèrent résoudre le problème par la création d’habitations économiques, et aussi de déclamations virulentes de la part des orateurs de réunions publiques, qui n’ont pas perdu cette occasion d’attaquer l’infâme capital, sans vouloir se rendre compte que, dans cette augmentation du chiffre des loyers, l’accroissement constant du prix de la main-d’œuvre des ouvriers du bâtiment entrait peut-être bien pour quelque chose. Une commission nommée par le conseil municipal délibère actuellement sur la question, et M. le président du conseil a promis qu’à la rentrée des chambres il déposerait un projet de loi contenant non pas des promesses, mais des solutions pratiques « dignes de la France et de la république. » J’attends le résultat de ces délibérations et l’exécution de ces promesses avec plus de curiosité que d’espérance au point de vue du soulagement de la véritable indigence. Non point qu’il n’y ait rien à faire pour procurer à certaines catégories d’ouvriers des logemens meilleurs et à meilleur compte. On a raison de

  1. M. Urbain Guérin a cependant fait paraître tout récemment une monographie intéressante du cordonnier de Malakof, et M. Demolins une monographie du chiffonnier de Paris. Ces deux monographies seront insérées dans la suite des Ouvriers des Deux Mondes.