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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/837

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auquel la nourriture du paysan de nos campagnes paraîtrait trop grossière et qui ne se refuse pas le luxe de table. Je n’en citerai pour preuve qu’un petit fait dont tous ceux qui ont l’œil un peu observateur ont dû être frappés comme moi. Autrefois les huîtres étaient un hors-d’œuvre qui ne figurait que sur la table des gens aisés. Aujourd’hui on rencontre des marchandes d’huîtres à la porte des cabaretiers dans les quartiers les plus populeux. On comprendra cependant qu’en traitant de l’alimentation populaire, nous ne nous inquiétions pas du prix des huîtres, qui, du reste, va diminuant.

Il est encore une denrée que l’ouvrier des campagnes est habitué à considérer comme une denrée de luxe et que l’ouvrier parisien considère comme une denrée de première nécessité : je veux parler du vin. L’ouvrier parisien est accoutumé à boire du vin comme le paysan normand à boire du cidre, et s’en passer lui paraîtrait une privation insupportable. Le prix du vin avait légèrement baissé avant l’invasion du phylloxéra ; si depuis il n’a pas aussi sensiblement haussé qu’on pouvait s’y attendre (je parle, bien entendu, des vins communs), cela tient à l’importation de plus en plus considérable des gros vins étrangers et aussi aux mélanges fabuleux qu’on fait boire sous le nom de vin aux consommateurs parisiens, mélanges dont les expériences du laboratoire municipal sont en train de nous révéler la nature. Mais cependant la hausse est certaine. Il en est de même de certaines denrées d’épicerie, café, sucre, etc., par suite des impôts et par suite aussi de la consommation plus grande. En résumé, et sans entrer dans des détails qui finiraient par devenir fatigans, on peut dire que, s’il y a eu depuis dix ans une hausse sur les objets d’alimentation, cette hausse ne porte pas sur les denrées de première nécessité, pain et viande, mais plutôt sur celles ayant un certain caractère de luxe, œufs, beurre (qui peut être remplacé par le lard), sucre, épicerie, vin, etc.., En tout cas, cette hausse n’est pas aussi exagérée que les intéressés le prétendent et ne saurait se comparer à la hausse des loyers.

Serrons maintenant la question d’un peu plus près et cherchons à déterminer quelle est, à Paris, la dépense quotidienne nécessaire à la nourriture. À cette question la réponse est assurément très variable suivant l’âge, le sexe, les occupations même. En prenant un homme dans la force de l’âge, elle variera encore suivant que celui-ci mangera dans son ménage ou en dehors de chez lui. Cette nécessité de prendre une partie de leurs repas an cabaret n’est pas un des moindres inconvénients de la hausse des loyers qui a forcé les ouvriers à se loger en grand nombre dans des quartiers excentriques et loin de leur ouvrage. C’est là une augmentation de dépenses qui compense souvent l’économie réalisée sur le loyer, sans compter tous