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demeuraient en grand nombre derrière le Panthéon, dans les rues Mouffetard, Gracieuse, et autres encore, ou bien du côté du parc Monceaux, dans ce quartier mal famé qu’on appelait la petite Pologne et qui a depuis complètement disparu. Aujourd’hui, chassés par l’élévation constante du prix des loyers et par la répugnance qu’inspire leur voisinage, ils sont de plus en plus refoulés loin du centre et obligés de s’établir dans les terrains vagues qu’ils peuvent trouver encore dans Paris, les uns dans les environs de la barrière d’Italie, sur les vastes emplacemens aujourd’hui occupés par la cité Dorée et la cité des Khroumirs, les autres au pied des buttes Chaumont, les autres à Clignancourt. Parfois sur ces terrains ils construisent eux-mêmes une cahute en bois, bâtie avec des planches qu’ils ont ramassées de droite et de gauche, dont ils bouchent les interstices avec des gravats. Mais généralement leurs logemens fort misérables ne leur appartiennent pas : ils sont construits par un principal locataire qui les leur loue au mois ou à la semaine à un prix exorbitant, et dans ces logemens ils vivent le plus souvent pêle-mêle avec les détritus qu’ils ont ramassés. Aussi le voisinage d’une cité de chiffonniers se trahit-il toujours par l’odeur aigre et douceâtre qui s’en exhale. Cette odeur est cause qu’on les pourchasse et les expulse sans cesse. Dans les baux qu’ils consentent, les propriétaires de ces terrains couverts par des cités de chiffonniers stipulent souvent que, dès, qu’une portion du terrain sera vendue, tous les baux prendront fin et que les chiffonniers seront obligés de déguerpir en masse. C’est alors un véritable exode de ces pauvres diables, qui s’en vont de côté et d’autre, où ils peuvent, généralement hors barrière, parce que là on rencontre plus facilement des terrains inoccupés. Dès que quelques-uns ont trouvé à s’établir quelque part, le bruit s’en répand ; d’autres viennent les rejoindre, et il se forme là une nouvelle agglomération. C’est ainsi qu’à Clichy, à Levallois, les terrains qui bordent la route de la Révolte sont aujourd’hui couverts de cités de chiffonniers, où se réfugie une misère plus hideuse et plus abandonnée encore que celle qu’on trouve à Paris.

J’ai passé il y a quelque temps une curieuse après-midi à visiter ces cités et à faire causer leurs habitans, chez lesquels j’ai trouvé, je dois le dire, cette bonhomie et cette ouverture qu’on rencontre toujours à Paris chez les plus misérables, lorsqu’ils ont le sentiment qu’on s’intéresse véritablement à leurs petites affaires. L’une entre autres de ces cités est particulièrement curieuse. De son nom administratif elle s’appelle la cité Foucault, mais son nom populaire est la cité de la Femme en culotte. Elle doit cette appellation bizarre à sa fondatrice, qui est morte, il y a peu d’années, laissant par testament la nue propriété de la cité fondée par elle au village de Clichy, son pays