sous cette prétendue neutralité que M. le président du conseil offre en garantie, que d’autres se chargent d’interpréter.
Ah ! si au temps de la restauration, au temps de la monarchie de juillet, ou même au temps du second empire, un ministre, un député eût osé avouer la pensée de façonner les cerveaux pour l’usage et à l’effigie d’un régime politique, il eût soulevé tous les instincts libéraux. Nous n’en sommes plus à ces susceptibilités. L’éducation libérale est en progrès et on se fait d’étranges idées en cela comme en toute chose. Autrefois on accusait les monarchies d’abuser de l’arbitraire, des lois despotiques, des moyens administratifs, même lorsqu’elles se bornaient à la plus stricte défense, aujourd’hui on manie sans scrupule tous ces procédés discrétionnaires contre lesquels on n’avait pas assez de colères ; on invoque sans façon la raison d’état, les juridictions administratives ; et les garanties publiques deviennent ce qu’elles peuvent. Que de fois n’a-t-on pas reproché aux anciens gouvernemens d’introduire la politique, le favoritisme de parti dans l’armée, dans la magistrature, dans l’administration ? Maintenant c’est la chose la plus simple du monde. M. le général Thibaudin se charge de gouverner l’armée avec les radicaux, et, au mépris de toute convenance, on donne le premier poste de la cour de cassation à M. Cazot, qui ne s’est distingué jusqu’ici que dans la présidence du tribunal des conflits, au moment de l’exécution des décrets contre les congrégations religieuses. À ces régimes du passé qui ont pourtant laissé quelque grandeur à la France, on répétait sans cesse qu’ils gaspillaient, qu’ils dilapidaient la fortune publique : à l’heure qu’il est, les finances sont tellement engagées qu’on ne sait plus où l’on va ni où l’on s’arrêtera, ce qui n’empêche pas de multiplier chaque jour les dépenses, — ce qui n’a pas empêché d’inscrire au budget près de dix millions de pension pour se créer une clientèle parmi les prétendues victimes de décembre.
C’est le progrès ! et avec tout cela à quoi arrive-t-on ? On tombe justement dans cette situation devenue critique où le pays a le vague instinct qu’il n’a ni liberté sérieuse, ni un vrai gouvernement, où il se sent inquiété dans ses intérêts, violenté dans, ses croyances, menacé dans sa sécurité, privé de toute garantie d’avenir. M. le président du conseil, d’après ce qu’il a dit plus d’une fois, n’est pas sans se rendre compte à sa manière de ce qu’il y a de difficile dans cette phase nouvelle de la république. Il paraît comprendre qu’il est temps de s’arrêter, nous le voulons bien ; mais il ne s’aperçoit pas que, s’il veut redresser cette situation faussée et refaire le gouvernement comme il en a l’ambition très avouable, la première condition pour lui est de se dégager des solidarités qui d’avance lui rendent toute tentative sérieuse impossible, et de chercher un appui dans les sentimens, dans les intérêts conservateurs qui, seuls, font la force des gouvernemens. Un homme un peu désabusé, un peu découragé comme bien