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VI

Ce qui rend la persuasion plus difficile vis-à-vis du côté problématique que présente la question de l’homme tertiaire, c’est justement l’éclatante lumière de la période suivante, celle que M. de Mortillet appelle « chelléenne, » de la station de Chelles, près Paris, qu’il considère comme typique. L’homme s’y montre avec une industrie évidente, primitive, puisqu’elle comprend une seule catégorie d’instrumens, mais si nettement caractérisés par leur forme, leur procédé de fabrication à larges éclats, leur contour amygdaloïde ou deltoïde, et jusqu’à leur dimension, qu’il serait impossible à l’esprit le plus prévenu de ne pas les reconnaître au premier abord comme étant le produit d’une seule et même race. M. de Mortillet s’est attaché à en définir l’usage plus exactement que n’avaient fait ses devanciers. On les a souvent appelés des haches, et les découvertes promptement célèbres de M. Boucher de Perthes leur valurent le nom de a haches de Saint-Acheul, » lieu où elles abondent plus que partout ailleurs, à la base des graviers quaternaires de la vallée de la Somme. Mais le gisement de Chelles, dans la vallée de la Marne, est encore plus caractéristique. L’Elephas antiquus de Falconer, l’ancêtre probable de l’éléphant des Indes, le prédécesseur en Europe du mammouth, s’y trouve seul associé aux instrumens humains ; à Saint-Acheul, on rencontre plus fréquemment le mammouth, bien que la première espèce ne soit pas absente pour cela. Ainsi, l’homme chelléen aurait vu deux races d’éléphans se succéder, ou plutôt se mêler sous ses yeux. Probablement aussi le climat s’altéra insensiblement et devint plus froid, sans que ses mœurs ni son industrie en fussent troublées. A la longue cependant, le contre-coup des événemens physiques et biologiques dont l’Europe devint le théâtre aurait influé sur l’homme quaternaire, et la race chelléenne, devenue celle du Moustier, aurait transformé peu à peu ses habitudes, en même temps qu’elle façonnait d’autres instrumens.

Il n’y aurait rien eu de brusque ni de tranché dans cette évolution, née des exigences d’un climat qui augmentait peu à peu de rudesse, et contre lequel il fallait bien se précautionner. Il avait été d’abord remarquablement doux, favorable par conséquent à la propagation de l’homme et des grands animaux auxquels il était alors associé. L’époque chelléenne précède ce que l’on a nommé « le glaciaire, » c’est-à-dire la période correspondant à la plus grande extension des glaciers et aux phénomènes qui résultèrent de cette extension. La grande Mer du Nord, produit d’un affaissement des massifs britannique et Scandinave, n’existait pas encore. Le midi de l’Angleterre était soudé au continent. Le figuier et le laurier