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MM. de Quatrefages et Hamy le nom de race de Canstadt, à cause d’un crâne extrait du lehm de cette localité, où il était associé à des os d’éléphant, en 1700, par le duc Eberhard de Wurtemberg. Ce crâne, celui d’Éguisheim près de Colmar, les blocs de Denise près du Puy, par-dessus tout le crâne de Néanderthal, enfin la mâchoire dite de la Noulette, c’est là tout et c’est, il faut l’avouer, peu de chose. Pourtant, c’est assez pour laisser reconnaître le front et le menton fuyant en arrière, les muscles fortement accusés, l’épaisseur des os, enfin la voussure surbaissée et remarquablement allongée, dans le sens antéro-postérieur, de la calotte crânienne. Voilà l’homme de Néanderthal de M. King, qui n’est guère comparable qu’au Boschiman et à l’Australien de nos jours, mais qui en diffère autant et plus, selon M. de Mortillet, que ceux-ci ne diffèrent de l’Européen. La saillie des arcades sourcilières, le développement de la partie occipitale du crâne, certaines empreintes de cicatrices remarquées sur l’individu retiré de la grotte de Néanderthal ont porté M. de Mortillet à le croire violent et batailleur ; il va même jusqu’à lui refuser le langage articulé, en se fondant sur l’absence de l’apophyse « géni ; » mais c’est aller bien loin sans doute dans la voie des conjectures à propos d’un si petit nombre de documens et si incomplets.

Nous ne savons rien de plus sur l’homme primitif européen. Se serait-il ensuite éteint au contact de races plus nobles et plus récentes, après avoir longtemps persisté aux mêmes lieux sans éprouver de changement ? Son extension simultanée sur un grand nombre de points donne lieu de penser qu’à l’origine au moins il représente, non pas une race particulière, mais un fonds commun destiné à se modifier peu à peu, après s’être localisé et particularisé, à la faveur des conditions de milieu très variées rencontrées çà et là. L’homme de Néanderthal serait alors la souche de ce qui a suivi. C’est lui qui, s’avançant vers le sud, aurait peuplé la terre et se serait ensuite divisé en races locales et en tribus. L’époque du Moustier montrerait, en Europe, la suite de ce premier état, et le phénomène de la localisation des races, dont nous avons parlé au commencement de cette étude, aurait poursuivi sa marche en amenant des résultats très divers selon les circonstances et les conditions. Les périodes qui suivirent celles du Moustier et qui sont nommées, l’une « solutréenne, » l’autre « magdalénienne, » par M. de Mortillet, à raison des stations typiques de Solutré (Saône-et-Loire) et de la Madeleine (arrondissement de Sarlat, Dordogne), correspondraient ainsi aux temps où l’homme localisé se transforme peu à peu, revêtant sur divers points les caractères spéciaux qui distinguent les races, développant des aptitudes aussi diverses que les lieux mêmes où