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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/144

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beau que trop de nourriture. Moi, je trouve qu’à nourrir le monde trop bien, nous aurons cependant le beau rôle. Mais je ne comprends rien à ces questions, cela va sans dire, M. Leverett non plus, il me semble, tandis que M. Cockerel paraît savoir ce qu’il dit. Il affirme que l’Amérique est complète en elle-même. Ce qu’il entend par là au juste, je ne sais trop… je conçois seulement que les grands intérêts de l’humanité ont, pour une raison ou pour une autre, passé de ce côté du globe. Puissent-ils s’y trouver bien et moi aussi ! Dieu sait que je suis lasse de l’Europe, maman m’ayant toujours forcée de l’admirer ; mais si j’aime faire moi-même son procès, je ne suis pas contente quand d’autres l’insultent. Nous avons eu de bons momens dans ce vieux monde, quoi qu’on en dise, et à Plaisance nous vivions fort bien, moyennant quatre francs par jour ! Maman est déjà épouvantée des dépenses qui nous attendent ici. Ce qui me rassure, moi, c’est que nous avons gaspillé tant d’argent pour revenir qu’il ne nous en restera plus pour nous en aller de nouveau. Vous voyez que je continue à bavarder en attendant que les îles soient en vue… Bon ! M. Cockerel vient m’appeler. — Elles sont en vue et plus charmantes que jamais, me dit-il. — Voyons un peu la baie. J’appelle à mon tour M. Leverett :

— Les îles, monsieur ! les îles ! ..

— Les îles ? .. Ah ! mademoiselle, j’ai vu Capri, j’ai vu Ischia !

— Moi aussi, mais cela n’empêche pas…………

P.-S. J’ai vu leurs îles. Elles sont assez drôles.


II. Mrs Church (New-York) à Mme Galopin (Genève) .

Nous sommes arrivées, chère madame, et je ne sais si je m’en félicite. Certes, le choix m’eût-il été donné d’atteindre la terre sans accident ou de couler à fond, j’aurais choisi la première alternative, tenant, en opposition contre les tendances générales de la pensée moderne, pour ce principe que notre vie est un dépôt sacré dont nous restons responsables devant la puissance d’en haut ; néanmoins, si j’avais pu prévoir quelques-unes des épreuves qui m’attendaient, j’eusse été tentée, je l’avoue, d’en finir sur-le-champ, et cela peut-être dans l’intérêt de ma fille. Mais à quoi bon supposer ? .. le fait est là… Nous sommes saines et sauves, au physique s’entend. Une pension de famille, qui m’avait été recommandée, nous a reçues ; j’y ai trouvé le genre de magnificence barbare qu’il faut accepter dans ce pays-ci, à moins que l’on ne préfère la rudesse primitive : point de milieu… Le prix, payable chaque