Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rives de la Seine. Lorsque son éducation fut complète, il partit pour son pays natal, où, grâce à sa finesse d’esprit, à sa connaissance des choses d’un monde ancien et d’un monde nouveau, il devint le conseiller intime du plus grand homme de la Chine actuelle, le vice-roi Li-Hung-Chang. Ma-Kien-Tchong fut d’abord envoyé par son protecteur à Calcutta pour arranger certains différends qui divisaient, — à propos d’opium, — l’Angleterre et le Céleste-Empire. Plus tard, choisi pour rétablir l’ordre en Corée, il fit résolument arrêter le principal fauteur des troubles, qui n’était rien moins que l’oncle du roi détrôné, et l’envoya de sa propre autorité, et sous bonne escorte, en exil. Lorsqu’il eut rétabli le légitime souverain sur son trône, il lui vint la crainte de voir tomber ce faible monarque sous l’influence ou même sous la domination des Japonais. Il l’obligea alors, malgré l’opposition d’un parti national hostile aux Européens, à ouvrir au commerce étranger les ports de la Corée, tenus rigoureusement fermés depuis des siècles comme autrefois ceux de la Chine. En faisant signer des traités au roi de Corée avec les grandes puissances, il a cru le mettre fort habilement sous leur protection.

Encouragé par ces premiers succès, Ma-Kien-Tchong voulut rendre éclatante la suzeraineté de la Chine sur la Corée. À cet effet, il invita la France, les États-Unis et l’Angleterre à la reconnaître d’une manière officielle. Ces trois nations s’y refusèrent. Tombé pour cela en disgrâce, notre ancien commensal n’en serait pas moins encore très influent à Pékin, s’il n’était catholique. Mais ses compatriotes ne lui pardonnent pas son apostasie. Il est, assure-t-on, actuellement au Tonkin, conseillant la résistance à Tu-Duc, lui promettant l’appui du Céleste-Empire et lui soufflant son rôle dans la comédie toute nouvelle du tribut des cent mille piculs de riz. Est-ce l’habileté de cet homme qui est cause de la mauvaise fortune de M. Bourée ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, ces jours-ci, ce diplomate a été invité par dépêche télégraphique à se rendre à Paris.

S’il faut en croire des rumeurs que confirme la presse anglaise de l’extrême Orient, ce rappel précipité serait dû à certain traité que notre ministre aurait élaboré avec le vice-roi Li-Hong-Chang. Malheureusement pour M. Bourée, M. Challemel-Lacour ne veut ni ne peut ratifier un semblable document. L’on comprendra tout de suite pourquoi. L’article 1er déclarerait que la France renonce pour toujours à s’emparer du Tonkin. L’article 2 ferait reconnaître par la France, quelque invraisemblable que cela puisse paraître, la suzeraineté de la Chine sur le Tonkin et l’Annam. Enfin l’article 3 dispenserait le Tonkin et l’Annam de payer à l’empereur céleste l’impôt annuel des cent mille piculs de riz.