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suffit de la narration des faits les plus bizarres et les plus invraisemblables pour émouvoir les enfans, parce que les enfans n’ont pas la force de comparer leurs idées. » Nous ne sommes pourtant qu’à six ans de date, sept ans au plus, de la célèbre préface de Cromwell. Même au mois de juin 1822, réunissant ses premières Odes en volume, le poète n’aura pas encore pris-parti. C’est dans l’intervalle qui sépare les premières Odes des Nouvelles Odes que Victor Hugo est né au romantisme.

Je trouve qu’en général on ne distingue pas assez les époques dans l’histoire littéraire. Assurément, il est fort difficile de dire avec précision qu’à tel jour, à telle heure, une chose a commencé de s’élever sur les débris d’une autre. Cependant l’histoire même n’est possible et la critique n’est exacte qu’autant qu’elles réussissent à faire ce discernement et marquer ces distinctions. Il me semble bien que M. Biré a eu raison d’en établir une entre le cénacle de 1824, celui dont Nodier fut l’âme, et le cénacle de 1829, celui dont Victor Hugo fut le centre. C’est par le royalisme, en effet, que l’auteur de l’Ode sur la naissance de Mgr le duc de Bordeaux est venu au romantisme. « L’Edinburgh Review, écrivait Stendhal au lendemain de l’apparition des Odes, s’est complètement trompée en faisant de M. de Lamartine le poète du parti ultra… Le véritable poète du parti, c’est M. Hugo ; .. le parti lui procure un fort grand succès. » On sait, au surplus, que le poète lui-même n’a daté que de 1827, c’est-à-dire de son Ode à la colonne de la place Vendôme, le début de sa rupture avec les royalistes, en quoi d’ailleurs M. Biré prouve qu’il se trompe une fois de plus et que, pour rompre, il attendit les journées de 1830. Or le royalisme, insensiblement, par une pente en ce temps-là presque irrésistible, et quoiqu’il eût reçu dans « la maison de la rue des Feuillantines, une éducation médiocrement religieuse, l’avait amené au christianisme ; et le christianisme, à son tour, l’avait amené, par-delà le XVIIe siècle, auquel il reprochait son paganisme, « à la chevalerie dorée, au joli moyen âge de châtelains, comme dit Sainte-Beuve, de pages et de marraines, » c’est-à-dire au romantisme. C’est dans la Muse française, le journal ou la revue de ce premier cénacle, qu’il fit paraître, en 1823, son ode sur la Bande noire ; c’est en 1824 et 1825 qu’il écrivit le Sylphe, les Deux Archers, l’Aveu du châtelain, la Fiancée du timbalier, l’Ode aux ruines de Montfort-l’Amaury, et si ce n’est pas vers 1826 qu’il conçut la première idée de Notre-Dame de Paris, j’inclinerais à placer vers cette date le dessein de la préface de Cromwell.

Il se peut bien, comme le veut M. Biré, que, dans cette admiration du moyen âge, le poète, qui n’avait pas vingt-cinq ans encore, ait été précédé, guidé même par Nodier, lequel avait d’ailleurs été, si je ne me trompe, aussi lui, précédé par Chateaubriand, mais la question,