Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoi qu’on en dise, et en se formant une idée très fausse, à mon avis, de l’invention littéraire, n’est pas tant de découvrir quelque gnose, fût-ce le moyen âge, que de savoir en tirer parti. Ce que Victor Hugo dégagea seul, et le premier, de ce romantisme sentimental, et qui, jusque dans ses Ballades, ne va pas sans quelque fadeur,


Si j’étais, ô Madeleine,
L’agneau dont la blanche laine
Se démêle sous tes doigts…


c’est cette fameuse esthétique du grotesque et. toutes les conséquences qui s’ensuivaient pour l’art nouveau. Lisez attentivement la préface de Cromwell : « Le grotesque imprime surtout son caractère à cette merveilleuse architecture, qui, dans le moyen âge, tient la place de tous les arts. Il attache son stigmate au front des cathédrales, encadre ses enfers et ses purgatoires sous l’ogive des portails, les fait flamboyer sous les vitraux, déroule ses dogues, ses « monstres, ses démons autour des chapiteaux, le long des frises, au bord des toits. » Combien d’autres passages qui ne sont pas moins caractéristiques ! Là-dessus il importe fort peu que les théories du poète soient historiquement fort discutables ; il importe déjà beaucoup plus de bien voir comment le même homme qui déclarait encore, en 1824, ne pas comprendre ce que c’étaient que classiques et romantiques, s’est trouvé naturellement posé, trois ans plus tard, en chef du romantisme, et M. Biré nous l’apprend ; mais j’ose croire qu’il importait tout à fait de montrer qu’en rapportant son romantisme à ses origines, on ne diminuait pas pour cela sa part d’invention et sa part considérable.

C’est, en effet, ici que perce trop, beaucoup trop, l’esprit de parti dans le livre de M. Biré. Je ne m’en étonne pas. L’auteur des Châtimens, qui, dans l’art de lancer l’injure, au risque de s’en éclabousser lui-même, n’aura peut-être eu de rival en ce siècle que l’auteur des Odeurs de Paris, a insulté tant de choses qu’il n’est pas facile à ceux qui les aiment, et d’autant plus qu’il les a plus outrageusement traitées, de retrouver, comme au commandement, pour parler de son œuvre et de lui, le calme et l’impartialité. Il le faut cependant. Je n’ai donc pas vu sans regret M. Biré s’acharner sur cette Préface de Cromwell pour nous démontrer, entre autres points, qu’avant Victor Hugo Stendhal avait dit tout ce qu’il y avait à dire sur le romantisme ou romanticisme. Stendhal ! ôter quelque chose à Victor Hugo pour le donner à Stendhal ! ce sceptique prétentieux dont les explications, définitions, et réflexions aboutissent à cette découverte qu’en 1823 le vrai romantique n’était pas Nodier, mais Pigault-Lebrun ! Car c’est la conséquence qu’il tirait lui-même de cette définition, que l’on republie partout depuis dix ou douze mois, que « le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de