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— Mon trésor, vous êtes jolie,
Je vous le dis en vérité !
Si l’amour est une folie,
Je suis fou pour l’éternité !


— Si pour toujours je sois ta belle,
Pour toujours je me donne à toi…
Allons ensemble à la chapelle,
Et gentiment épouse-moi !


Pierre Cambry joint les mains des jeunes gens, qui s’agenouillent devant Thérèse ; un violoncelle derrière la charmille module un chant religieux et tendre, et une paysanne qui domine le groupe fait pleuvoir sur les fronts des fiancés et de la mère des roses effeuillées, tandis que, dans un coin de la scène, un personnage épisodique, Gilbert Harispe, échange avec Jean de Born ces paroles : « Devine qui je viens de rencontrer dans Cambô : le duc de Hautmont ! — Jacques, ici ? Pour quelque femme, sans doute… » Et le spectateur se souvient qu’au nom de cet homme, déjà prononcé par Jean, Thérèse a tressailli.

Tout ce premier acte est franc, clair, agréable ; on y voit le drame s’esquisser à grands traits et les personnages se mettre en place avec aisance ; on y respire un air de vertu, mais de vertu qui n’écœure pas. Enfin, par une heureuse économie de l’ouvrage, l’apparence tout à fait riante de ce tableau nous prépare à sentir plus vivement l’horreur de ce qui va suivre.

Au deuxième acte, nous sommes chez M. Jordan, le père d’Espérance, dans la villa qu’on aperçoit du jardin de Pierre Cambry. M. Jordan arrive de Paris pour embrasser une dernière fois sa fille, décidé à mourir. En effet, il n’a qu’une chance de salut et qu’il repousse avec fermeté : ne serait-ce pas un vilain trait d’égoïsme que de rompre le mariage d’Espérance avec Martial pour la donner au duc de Hautmont, un gentilhomme de cinquante ans, un viveur dont les prodigalités n’ont pu épuiser la fortune et qui s’offre à payer les dettes du père s’il épouse la fille ? Ce tentateur est venu relancer le banquier jusqu’ici ; M. Jordan veut l’éconduire sans même consulter sa fille. Mais, dans un entretien suprême, Espérance devine la résolution de son père et qu’elle peut encore le sauver ; elle devine à quel prix, et le conjure d’accepter son sacrifice. Que M. Jordan rappelle le duc de Hautmont ; Espérance elle-même signifie à Martial qu’il doit renoncer à sa main. Mais Martial ne se résigne pas ainsi : « Tu n’avais plus le droit de disposer de toi, s’écrie-t-il, car tu m’appartenais ; j’ai un rival, je le trouverai, je le tuerai ! » Il s’enfuit, éperdu de douleur et de rage. Sa mère survient : « Où va Martial ? — Chercher son rival pour le provoquer et le