Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
REVUE DES DEUX MONDES.

dernier coup d’état, mais qui, même dans ces conditions, n’a pu tenir contre l’influence russe. Est-ce la chute d’un ministère qu’il faut dire ? Non, pas tout à fait. C’est l’élimination de la partie bulgare d’un cabinet mixte où la prépondérance appartenait déjà en définitive à la Russie, particulièrement représentée par les généraux Sobolef et de Kaulbars. Entre les deux élémens du cabinet de Sofia l’incompatibilité a récemment éclaté, et ce n’est point naturellement la Russie qui a été vaincue. Une fois maîtres du terrain, les généraux russes n’ont plus songé qu’à organiser le gouvernement à leur gré, et comme ils n’ont pu mettre la main sur aucun homme politique bulgare qui ait voulu s’associer à eux dans ces conditions, ils ont imaginé un autre expédient tout simple pour se tirer d’embarras : ils ont donné un portefeuille à un ingénieur russe, et ils ont placé à la tête des autres ministères des employés qu’ils ont décorés du titre de gérans : de sorte que, depuis quelques semaines, c’est la Russie qui gouverne souverainement la Bulgarie.

Quel est le secret de cette crise qui a tout changé à Sofia et qui excite encore dans le pays une assez vive irritation ? Les Russes ont manifestement leur but. Ils veulent contraindre la Bulgarie à construire à ses frais un chemin de fer qui, partant du Danube, traverserait les Balkans, toucherait à Sofia, puis irait se rattacher aux lignes ottomanes qui vont à Constantinople. La Bulgarie, quant à elle, ne voit aucun avantage, ni pour son indépendance, ni pour son commerce, dans ce chemin de fer, qui, ainsi conçu, ne sert que les intérêts et les vues stratégiques de la Russie. Elle a résisté jusqu’ici, et c’est la principale cause de la dernière crise. Elle résiste encore ; conservateurs et libéraux semblent assez disposés à s’allier contre la prépotence étrangère, et il est plus que probable que la chambre bulgare, lorsqu’on aura recours à elle, refusera de sanctionner le projet qui lui sera présenté ; mais la chambre bulgare ne se réunira qu’au mois d’octobre, et d’ici là les Russes, disposant d’une somme de 25 millions qui est en réserve dans la caisse du trésor bulgare, comptent bien avoir commencé les travaux et engagé la principauté. Ils sont d’autant plus pressés qu’ils veulent gagner de vitesse l’Autriche, qui, de son côté, s’occupe de relier ses chemins de fer aux lignes turques. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, pendant ce temps, le prince Alexandre, qui ne s’est peut-être prêté que malgré lui aux dernières combinaisons ministérielles de Sofia, s’est mis en voyage. Il est allé à Constantinople, où il a été reçu avec les honneurs dus à un vassal tel que lui. Il va à Athènes, il se propose d’être à Moscou, pour le couronnement du tsar, tandis que le général Sobolef règne à Sofia. L’indépendance bulgare fait en tout cela, il faut l’avouer, une singulière figure. Qui sait si, après la conférence pour l’Égypte, après la conférence pour le Danube, après la conférence pour