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un ministre hollandais[1], protestant passionné : « L’Europe est redevable aux Bourbons pour avoir rappelé la liberté mourante. »

Stratégiste de l’école de Gustave-Adolphe, il étend le théâtre de ses opérations et leur donne un caractère logique ; toutes appartenant à un même ensemble, chacune a un objet défini, soit qu’il vienne chercher auprès du Rhin des secours qui manquent trop souvent, soit que, renforcé ou non, bien ou mal payé, il reprenne son essor à travers l’Europe pour aller ici dégager une armée battue, là chercher un allié qui hésite, ailleurs dissiper un rassemblement ennemi qui se forme. Jamais il ne marche au hasard ; mais comme il va vite et loin ! Jetons un moment les yeux sur la carte d’Europe, non pour le suivre, mais pour marquer quelques uns des points où on le voit paraître. Le voici sur le Danube, aux portes de Ratisbonne, puis en pleine Allemagne du Nord, vainqueur à Wolfenbüttel. Quelques mois plus tard, nous le retrouvons dans le pays de Clèves, battant Lamboy, le faisant prisonnier, ruinant son armée. La saison ne l’arrête pas ; en plein hiver, il prend des places, gagne des batailles ; c’est au mois de janvier (1642) qu’il livra celle de Kempen. Puis il manœuvre entre le Rhin et la Basse-Meuse, menace les Espagnols victorieux, les force à lâcher prise et à perdre les fruits de la bataille d’Honnecourt. L’armée de Picardie dégagée, il passe en Saxe, donne la main à Torstenson près de Leipzig et achève en Thuringe sa belle campagne de 1642. Depuis plus d’un an, le duc de Longueville avait abandonné le titre d’un commandement qui n’avait jamais été que nominal. Gréé d’abord lieutenant-général, honoré du cordon bleu, Guébriant reçut le bâton de maréchal après la victoire de Kempen.

Ces honneurs, ces dignités ne le mirent pas à l’abri du mauvais vouloir de nos alliés les Suédois : ce n’était pas la moindre de ses difficultés. Dès le début, il avait eu maille à partir avec Bannier, vigoureux homme de guerre, mais violent, impatient de toute autorité, et d’habitudes si intempérantes qu’une fois l’ambassadeur de France, ayant affaire à lui, dut attendre quatre jours pour le trouver dans un moment lucide. Bannier cependant avait subi l’ascendant de Guébriant, manœuvrait d’accord avec lui, et l’avait si bien pris en amitié que, comme le duc Bernard, il finit par lui léguer ses armes. Il meurt, Torstenson le remplace, et tout est à recommencer. Très supérieur à son prédécesseur, mais obéissant à un patriotisme étroit, le nouveau général suédois ne veut sacrifier aucun des intérêts momentanés de la couronne de Suède aux intérêts généraux des alliés, revient sur sa parole, manque aux rendez-vous. Guébriant

  1. Spanheim, Mémoires de la Palatine Loyse-Julianne. (Leyde, 1645.)