Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duc de Longueville fut nommé général de l’armée du roi, composée de deux groupes : les troupes récemment capitulées et qui restaient conduites par leurs directeurs ; le corps français, dont la petite bande d’Henri de Rohan formait le noyau, et dont le maréchal de camp, comte de Guébriant, conservait le commandement sous le nouveau général en chef. Longueville avait le sang de Danois, la bravoure héréditaire ; il ne manquait pas d’intelligence, mais de santé et d’activité ; négociateur plutôt que soldat, il parut irrégulièrement à l’année qu’il commandait, fut presque toujours en congé ; se réservant les conférences entre les ambassadeurs et ministres, il examinait sommairement les plans militaires de son maréchal de camp et lui en laissait l’exécution.

L’armée du roi prit immédiatement l’offensive (octobre 1639), passa le Rhin qu’aucun soldat français n’avait encore franchi[1], pénétra au cœur de l’Allemagne, décida la landgrave de Hesse à joindre à nos troupes les quelques milliers de bons soldats dont elle disposait[2], opéra avec les Suédois, puis hiverna sur la rive droite du fleuve pour empêcher l’ennemi de passer sur la rive gauche ; car il ne faut plus que les Impériaux ou leurs alliés remettent le pied sur cette terre d’Alsace dont nous avons jalonné l’occupation par quelques conquêtes et qui est en train de se donner à la France. Ce fut une affaire bien menée dès le début. Nulle tentative pour importer une administration étrangère, pour créer une organisation générale ; laisser subsister les gouvernemens locaux, n’inquiéter ni les magistrats élus ni les seigneurs héréditaires, protéger les catholiques contre l’oppression des Suédois, montrer aux luthériens que la retraite des Français les livrerait aux Espagnols : telle fut la ligne tracée à l’origine par Richelieu, maintenue par ses successeurs, suivie par des agens aussi intelligens que dévoués. Guébriant fut le premier à marcher dans cette voie ; nul ne fut plus hardi, plus persévérant ; jamais il ne perdit de vue le but principal : couvrir l’Alsace, lui assurer le repos, la laisser suivre sa pente naturelle, s’unir doucement à la France. C’était rompre le plus gros anneau de la lourde chaîne qui, tendue de Vienne à Anvers, enserrait la meilleure partie du monde ; c’était mériter à nos rois cet éloge que leur adressait

  1. Il y avait bien eu pendant quelques mois, en 1634, une garnison française à Philipsbourg, un petit contingent français au siège de Brisach, mais ces deux places sont sur le fleuve ; ailleurs il n’y avait eu que des individus servant dans des armées étrangères. Nous parlons ici de soldats français en corps.
  2. Le traité avait été négocié par d’Avaux. La landgrave de Hesse-Cassel, Amélie-Élisabeth de Hanau, veuve et régente depuis deux ans, s’engageait à fournir 7,000 hommes de pied et 3,000 chevaux moyennant 200,000 rixdalers par an et une pension à son fils, le jeune landgrave régnant.