manœuvrer lorsqu’il reçut une dépêche où le duc d’Anguien, racontant les premiers travaux du siège, rappelait que « Thionville ne pouvait être secouru que par les troupes d’Allemagne, puisque celles de Flandres sont défaites. C’est à vous, Monsieur, à les empescher de venir et à me donner avis de leur marche. » Guébriant comptait bien « les empescher de venir, » ôter toute espérance de secours à Beck et à Melo. Au lieu de pousser vers le nord, en se rapprochant de la place attaquée, il prit la route de l’est pour attirer sur lui Lorrains, Bavarois, Impériaux, tous ceux que l’indifférence, l’inertie de nos alliés ou leur secret mauvais vouloir, laissaient libres de menacer l’armée assiégeante. Quelques mouvemens préparatoires l’ayant déjà ramené dans cette direction, il transporta son quartier-général de Waldshut à Engen, centre d’une nouvelle base d’opérations étudiée d’avance, jalonnée par la forteresse d’Hohentwiel, que nous occupions depuis assez longtemps, ainsi que par les places de Tütlingen sur le Haut Danube et d’Uberlingen sur le lac de Constance, dont le colonel Widerbold et le général major d’Oysonville s’étaient plus récemment emparés. Il comptait s’avancer à travers ces belles contrées qui avoisinent le lac de Constance et qui ont été le théâtre des exploits de Moreau ; son esprit hardi et fécond, qui avait déjà conçu la conquête du Rhin, avait préparé la marche par le Danube. Il voulait, par une voie encore inexplorée, porter la guerre au cœur des états du duc de Bavière et comptait atteindre l’Iller dans cette campagne ; déjà il était établi auprès de la célèbre abbaye de Salem[1], et ses coureurs avaient poussé jusqu’à Lindau. Mais le duc de Bavière avait confié son armée à un général doué d’une rare pénétration, très sûr de ses calculs, méthodique et cependant prompt à prendre son parti, lisant le terrain très vite et très bien, ayant un tact particulier à choisir les positions défensives et une grande habileté à en tirer parti. C’était le colonel que nous avons vu monter à l’assaut de Saint-Jean de Losne, celui que nous allons bientôt retrouver en face du duc d’Anguien, le gentilhomme lorrain François de Mercy[2]. Guébriant croyait encore l’armée
- ↑ Salem ou Salmansweiler, abbaye de Citeaux, située sur l’Art, à deux lieues est d’Uberlingen.
- ↑ Mercy, Lorrain ou plutôt Wallon, était des environs de Longwy. Son frère aîné, Gaspard, et lui, étaient entrés très jeunes au service du duc Maximilien, depuis électeur de Bavière ; mais il avait promptement dépassé son frère, qui devint un de ses maréchaux de camp et fut tué devant Fribourg (1644). Lui-même mourut glorieusement sur le champ de bataille, en 1645, ainsi que nous le verrons plus loin. Il était général en chef de l’armée de Bavière et maréchal de camp général des armées impériales. Son petit-fils, Claude-Florimond, fut un des meilleurs généraux de l’empereur Léopold II, qui érigea en sa faveur la terre de Mercy en comté (1720). Cette famille s’est ensuite mêlée à celle d’Argenteau, a donné plusieurs généraux à l’Autriche, et fleurit encore aujourd’hui.