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XXIII. — LA MORT DE GUÉBRIANT.

Cependant Guébriant poursuivait vivement sa marche. La chaîne de la Forêt-Noire, dans sa partie méridionale surtout, est malaisée à traverser. On n’y rencontre pas les hautes barrières de rochers des Alpes ou des Pyrénées ; mais les accidens de terrain sont considérables, les pentes raides, les bois touffus, les gorges étroites et profondes. Les touristes qui, de nos jours, voyageant au cœur de l’été, remontent en voiturin de Fribourg à Donaueschingen, ou qui descendent sur Hausach en suivant les nombreux lacets du chemin de fer, peuvent se rendre compte des obstacles que rencontrait jadis une armée, s’engageant avec ses convois dans cette région, au commencement d’un hiver rigoureux, cheminant sur d’étroits sentiers couverts de neige ou de glace : « Je ne suis pas assez diable pour me risquer dans le val d’Enfer, » disait Villars en 1705, et Moreau passa pour un hardi capitaine lorsqu’il lança dans cette gorge son armée en retraite. Cependant, au mois de novembre 1643, Guébriant n’hésita pas à tenter le passage bien autrement difficile qui conduit de la vallée de la Kinsig dans celle du Neckar. Il y perdit des voitures, beaucoup de chevaux ; quelques hommes y périrent de froid ; bon nombre de traînards et de déserteurs restèrent en arrière, mais la ténacité du général en chef l’emporta ; en cinq jours, il arriva devant Rottweil (7 novembre).

Le jour même où Guébriant se présentait devant la place, son avant-garde, commandée par Rosen, était surprise à Geisingen[1]. Le général-major Reinhold von Rosen[2], « le vieux Rose, » comme on l’appelait, quoiqu’il eût à peine quarante-cinq ans, était un homme d’expérience, mais quinteux, égoïste, et alors fort mécontent d’être sous les ordres de Rantzau. Il s’était enfermé dans un château, laissant sa troupe sans direction. La garde, composée de cavaliers pris dans toutes les compagnies, était commandée par un ritmestre qui n’avait aucune autorité sur ces hommes Ainsi

  1. Geisingen, sur le Danube, à 12 kilomètres en aval de Donaueschingen, et à 28 kilomètres au sud de Rottweil.
  2. Reinhold von Rosen Gross-Ropp, Livonien, commande un régiment de cavalerie de mille chevaux à Lutzen, sons Gustave-Adolphe, suit le duc Bernard, devient un des quatre directeurs-généraux de son armée, et s’engage définitivement au service de France en 1639. Lieutenant-général en 1646, (gouverneur de Haute et Basse-Alsace en 1652, il meurt le 18 décembre 1667. Ce fut lui qui fit entrer au service de France son jeune parent, Conrad de Rosen, comte de Bolweiller, qui devint maréchal de France en 1703 et mourut en 1715.