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pont à la contrescarpe et armée d’une batterie, les deux bastions sont écrasés de feu, et aie baron de Guency, capitaine dans Persan, commandé avec quarante hommes, favorise les mineurs, qui sont attachés le soir et mis à couvert avant l’aurore. » (30 juillet.) Le feu continue les deux jours suivans. Le 1er août, deux mines jouent, une seule avec effet ; le lendemain, la seconde est mise au même état que la première, et le logement est fait au pied de la brèche.

La grande crise de l’assaut approchait ; l’ennemi était-il préparé à subir cette suprême épreuve ? Voici ce qui en fit douter : c’était une lettre que le général Beck adressait au gouverneur de Thionville et qui fut prise sur un espion, pendu le 29 juillet au quartier du roi[1] ; nous en citerons quelques passages, où les devoirs d’un commandant de place assiégée sont tracés dans des termes qui sont de tous les temps.

« Je ne puis comprendre le sujet de la foiblesse que vous témoignez, estant tout asseuré que vous pouvez tenir beaucoup au-delà des huict jours dans lesquels vous dites que vous serez contraint de vous rendre. Les demi-lunes de la place sont toutes entières, son rempart dont je sçay la largeur et la bonté, n’est point encore endommagé ; pouvez-vous parler de vous rendre ayant tant de pièces à disputer, la moindre desquelles est capable de se deffendre plus longtemps que le terme que vous voulez prendre ? Souvenez-vous qu’il y va de vostre honneur, que la réputation de vos officiers est attachée à cette action. Si vos canonnière ne font leur devoir, vous aurez moyen de les y contraindre ; si les habitans ont d’autres sentimens que les vostres, vous avez la force à la main pour les maintenir au devoir, et si vos officiers sont prévenus de quelques frayeurs, vous les pouvez ramener en leur remonstrant que la foiblesse porte toujours beaucoup d’infamie, et conduit souvent au supplice ; surtout prenez garde qu’il ne se parle d’aucune reddition dans vostre conseil de guerre ; et conservez-y vostre authorité. Vous serez peut-être importuné des prostrés et des femmes ; mais il ne les faut point écouter ; l’honneur vous défend d’avoir des oreilles pour eux, et quand vous considérerez que toute l’Europe a l’œil sur vous, vous ferez l’impossible pour acquérir une gloire qui ne mourra point avec vous. J’attends cette vigueur de vostre courage et sur cette bonne opinion je suis, monsieur, votre humble serviteur.

« J. BECK. »

  1. Cette lettre fut déchiffrée par le secrétaire Girard, avec le chiffre envoyé par Rossignol, le « spécialiste » que Richelieu employait à traduire les correspondances les plus secrètes ; Mazarin en avait hérité. M. le Duc expédia la pièce à Paris le 29. Elle a été imprimée dans le Mercure, XXV, 39.