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ne s’inquiète ni de sa faiblesse, ni des difficultés et qui ne compte que sur son grand cœur à travers lequel elle aperçoit la Providence. Deux veuves s’étaient jointes à elles et l’aidaient. Le noyau de l’association est formé.

La chambre était petite, les trois malades la remplissaient et s’y trouvaient à l’étroit, Mme Garnier rêvait de louer une maison, d’y transporter ses incurables, d’y amener toutes celles qu’elle pourrait découvrir et d’appeler près d’elle les veuves chrétiennes dont la foi désirait s’exercer par des actes moins platoniques que la prière et la méditation. Il lui fallait de l’argent et l’on sait qu’elle était sans fortune. Elle entra en campagne, expliquant son projet, et demandant que l’on s’y associât. On l’écouta avec étonnement, on leva les épaules, et plus d’une fois on lui dit : « Vous êtes folle ! » Non, certes, elle n’était point folle, mais elle était exaltée, et dans la vie un grain d’exaltation ne nuit pas à ceux qui, pour toucher au but, doivent secouer l’indifférence humaine, vaincre l’égoïsme et réveiller la générosité. Elle était hardie, elle était tenace : dix fois dans la même journée, elle livrait assaut à la même personne ; pour se débarrasser d’elle on déliait les cordons de la bourse ; elle emportait l’aumône et courait à ses malades. Elle avait de l’emphase dans le geste et dans la parole ; elle plaidait si passionnément la cause à laquelle elle s’était dévouée, qu’on la prenait pour une visionnaire et même pour une actrice. Elle ne s’en blessait pas : elle avait la vision nette du bien qu’elle voulait faire ; elle jouait son rôle de solliciteuse, elle le jouait si parfaitement que souvent elle se retirait les mains pleines. Tant d’objections s’élevaient néanmoins contre elle, tant d’observations lui avaient été adressées, qu’elle éprouva quelques doutes et se demanda si l’œuvre qu’elle voulait entreprendre ne serait pas frappée d’impuissance, dès le début, par sa grandeur même et par le courage, pour ne pas dire l’héroïsme, qu’elle exigerait. C’était une femme de résolution subite ; tout à coup, l’idée lui vint d’aller, soumettre son projet à l’archevêque de Lyon, qui était le cardinal de Bonald ; elle se rendit immédiatement près de lui et lui exposa le plan de l’association qu’elle voulait former. Le cardinal la laissa parler sans l’interrompre, puis il lui dit : « Votre projet est bon, la réalisation en sera difficile, mais Dieu vous aidera ; marchez sans crainte, et comptez sur moi. » Après un instant de réflexion, il ajouta : « Votre œuvre sera nommée : l’association des Dames du Calvaire[1]. » L’œuvre était approuvée et

  1. On ne doit pas confondre l’association des Dames du Calvaire, avec la congrégation et avec la communauté des sœurs de Notre-Dame du Calvaire, qui elles-mêmes diffèrent entre elles.