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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/393

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comme de lui-même, aux proportions de ce que nous appellerions aujourd’hui la nouvelle. Vers la fin du siècle, les romanciers à la mode sont les imitateurs de Mme de La Fayette ou plutôt ses imitatrices : Mme de Murat, l’auteur du Comte de Danois ; Mlle de La Force, l’auteur, de l’Histoire secrète de Bourgogne, Mme Durand, Mme d’Aulnoy, Mlle Lhéritier, d’autres encore, filles de beaucoup d’esprit, femmes de trop d’intrigues, en général demoiselles et dames de moyenne vertu. Leurs aventures, à elles qui répandirent si indiscrètement celles des autres, seraient amusantes, et même agréablement scandaleuses à conter. Leur œuvre, ou du moins ce que j’en ai lu pour m’en faire une idée juste, m’a paru d’un style assez négligé, facile, souvent heureux dans sa négligence, en somme et au fond assez médiocre. Elles n’ont pas moins réussi dans leur temps. Bayle, en plusieurs endroits, s’est plaint de cette profusion d’Aventures galantes et de romans soi-disant historiques, dont elles inondaient la France et même l’Europe. Ce véritable érudit n’aimait pas à voir l’histoire ainsi travestie pour le plus grand amusement des oisifs. Son indignation s’étendait jusqu’à Mlle de La Fayette, à laquelle il ne passait ni Zaïde ni la Princesse de Clèves. Et pourtant, il n’est pas douteux que ce que le siècle apprenait à aimer dans ces récits romanesques, c’en était précisément l’apparence historique, leur conformité, par conséquent, avec la vie réelle, et aussi, selon l’expression du même Bayle, — avec l’histoire naturelle. L’une, la conformité avec l’histoire naturelle et la physique expérimentale, s’étalait un peu partout dans l’œuvre de ces dames : on nous permettra de n’y pas insister. L’autre, la conformité avec l’histoire, et avec l’histoire contemporaine, c’était ce qui séduisait dans les romans de cet aventurier de lettres, Gatien de Courtilz de Sandras, l’auteur de tant de Mémoires apocryphes : Mémoires de M. de Rochefort, Mémoires de la marquise de Fresne, Mémoires de M. d’Artagnan. Facilement écrits, eux aussi, — avec cette facilité qu’il ne faut hésiter à qualifier en bon français de regrettable et fâcheuse, parce qu’elle donne aux ignorans l’illusion du naturel, — tous ces Mémoires, en ce qu’ils contiennent de prétendument historique, sont aussi dangereux à consulter que les inventions de La Beaumelle ou les compilations de Soulavie, mais, en ce qu’ils contiennent d’anecdotique, dans les récits galans ou licencieux, on accordera que de loin en loin, par intervalles, ils ont déjà quelque chose du tour agile et de l’amusante vivacité des Mémoires de Gramont et de l’Histoire de Gil Blas. Je ne mets pas en doute que Le Sage ait lu toutes ces productions, qu’il ait même personnellement connu Courtilz de Sandras, dont le libraire était aussi le sien, et qu’il ait enfin, tout en l’épurant un peu, suivi cette veine à son tour. C’est aux faiseurs de romans