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historiques, très certainement, qu’il a dû l’idée de mêler les aventures de Santillane à l’histoire du duc de Lerme et du comte d’Olivarès et, comme eux, il s’est abondamment servi pour cela des Anecdotes qui couraient les librairies du temps.

On a voulu quelquefois faire honneur de cette transformation du roman à l’auteur de l’Histoire de Francion, Charles Sorel, et ses successeurs, parmi lesquels on nomme surtout Scarron, pour son Roman comique, et Furetière, pour son Roman bourgeois. C’est remonter trop haut, de quarante ou cinquante ans trop haut, et c’est surtout se méprendre sur le caractère des œuvres. Si l’on élimine en effet de l’Histoire de Francion les grossièretés qui la déshonorent, la gravelure et l’indécence, il ne demeure, comme aussi — bien du Roman comique et du Roman bourgeois, qu’un fonds passablement vulgaire, des accidens invraisemblablement grotesques, des caricatures sans doute assez lestement enlevées, mais rien, absolument rien, qui ressemble à ce que nous avons depuis appelé le roman de mœurs. Il importe beaucoup de ne pas s’y tromper. L’Astrée, le Grand Cyrus, la Clélie sont des romans qui tiennent encore du poème, et même de la poésie ; Francion, le Roman comique, le Roman bourgeois tiennent encore de la farce, et, à vraiment parler, ne sont que des parodies. Les premiers visent à l’héroïque, les seconds au grotesque. Or, ce qu’il s’agissait précisément de remplir, à la fin du XVIIe siècle, c’était l’entre-deux de l’héroïque et du grotesque. Car le grotesque ou le caricatural, et on l’oublie trop souvent, n’est pas moins éloigné du train de la vie commune que l’héroïque même. Si les romans de Mlle de Scudéri sortent du bon caractère et de la vérité, ce n’est pas avec les visions de Scarron qu’il faut s’imaginer que l’on y rentre. L’idéal du sentiment et la charge de la caricature s’obtiennent par les mêmes moyens, c’est-à-dire par une altération également systématique des rapports vrais des choses. Si l’on allonge les corps, et que l’on atténue les formes, et que l’on effile les traits, on obtient la banale et inexpressive beauté des figures de keepsakes anglais, comme si l’on grossit les traits, et que l’on épaississe les membrures, et que l’on élargisse les formes, on obtient la laideur convenue de nos journaux à images ; mais, de l’une et de l’autre manière, il est clair que l’on s’est écarté de la nature. Pareillement, les personnages du roman héroïque sont plus hauts, ou plus délicats, ou plus jolis que nature, mais les personnages du roman comique sont plus laids, ou plus grossiers, ou plus bas. Les uns et les autres, ils sont donc également distans d’une juste imitation de la vie, puisque l’imitation de la vie n’est à leurs auteurs qu’un point de départ dont ils font