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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/464

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La théorie, M. Perrin, dans cette préface, l’expose à merveille : « Il faut admettre, dit-il, que toute pièce de théâtre est faite pour être représentée… Il faut les clartés de la scène pour donner à une œuvre dramatique son vrai relief, sa puissance, sa vie… Les chefs-d’œuvre ne perdent rien à être entourés de plus de soins qu’on ne leur en a longtemps accordé… C’est par un progrès continu, logique que la mise en scène a pris une réelle importance dans le théâtre moderne ; ce progrès s’est accompli avec l’assentiment, la complicité du public, sous l’effort combiné des auteurs et des comédiens animés d’un même désir, marchant vers un même but : obtenir du théâtre le plus d’illusion possible… Il faut que tous les arts accessoires qui doivent concourir à l’illusion théâtrale se fassent des serviteurs dociles de l’auteur… « la loi d’harmonie, voilà leur règle… Leur influence est d’autant meilleure qu’elle est mieux dissimulée et que le public la ressent plus à son insu… L’importance du décor et du costume ne doit jamais être une préoccupation pour le spectateur ;… mais rien en cela ne doit être donné au hasard : le temps ni la dépense ne doivent compter ; le jeu des acteurs, le mouvement de chaque scène, l’aspect du décor, la juste harmonie de chaque accessoire, doivent être réglés avec le soin le plus scrupuleux, parce que du bon accord de toutes ces choses dépend souvent la bonne impression reçue par le public. »

Voilà, resserrée en vingt lignes, la théorie de M. Perrin sur la mise en scène ; il confesse, d’ailleurs, que son ambition est de faire de la Comédie-Française, pour la perfection où elle pousse cet art, le modèle des autres théâtres : on sait, en effet, qu’il n’y épargne « ni le temps, ; ni la dépense, » — et c’est justement là-dessus que le querelle M. Sarcey. L’éminent critique préférerait que la Comédie-Française consacrât aux ouvrages qu’elle monte beaucoup moins d’heures et d’argent, et quelle en montât davantage ; Moi aussi, je voudrais qu’elle renouvelât plus souvent son affiche, qu’elle ouvrit ses portes à plus de comédies nouvelles, qu’elle entretînt dans leur lustre un plus grand nombre de vieilles pièces Ï mais peut-être est-ce lui demander l’impossible. Je regretterais qu’elle renonçât au souci d’une représentation parfaite : j’imagine qu’elle pourrait faire plus sans se résigner à faire moins bien ; mais s’il faut absolument choisir entre la quantité des œuvres et la qualité de l’exécution, c’est encore, je l’avoue, pour la qualité que je me déciderai.

Pour faire beaucoup de besogne et la faire médiocre, n’avons-nous pas l’Odéon ? C’est son rôle de tenir beaucoup de pièces au répertoire, comme un Bouillon Duval tient beaucoup de plats au bain-marie ; c’est son rôle d’accommoder à la hâte un grand nombre de comédies, voire de tragédies nouvelles. La Comédie-Française, à mon sens, a droit d’aimer la perfection : il se peut que son menu soit trop court, et nous consentons volontiers qu’elle l’allonge, s’il est moyen de le faire sans rien