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gâter ; mais nous maintenons surtout qu’il ne doit rien porter que d’exquis, de médité, de fait à point. On dira que M. Perrin agit moins bien qu’il ne parle ; qu’il viole à chaque instant cette loi d’harmonie qu’il proclame ; qu’il fait prévaloir sur le principal ce qu’il nomme si justement l’accessoire ; nous lui laisserons le soin de le nier et d’affirmer qu’il touche à la perfection ; il nous suffit qu’il y prétende, et, même si, par cette prétention, il est induit, dans quelque faute, s’il fait le mal en visant maladroitement au bien, nous en rejetterons le tort sur l’infirmité humaine, nous nous garderons de crier haro sur le pécheur. Il a péché, par excès de zèle pour un certain art, contre les lois de cet art après les avoir promulguées, nous craindrions, par trop de dureté, de décourager son zèles : or, il est bon, à notre avis, que dans un théâtre au moins on s’efforce même si l’on n’y réussit pas, de produire des exemplaires parfaits de cet art. Que la Comédie-Française soit le palais, de la mise en scène : cette déesse moderne n’a pas le choix entre tant de demeures !

Qu’on jette un coup d’œil, en effet, sur l’histoire du théâtre en France[1] : on verra par quel progrès continuel, depuis deux cents ans, depuis un siècle et demi surtout, nous sommes vernis à cette idée qu’il doit exister une convenance exacte du décor et du costume au drame et que pas même un mouvement, dans la représentation scénique d’un ouvrage, ne doit être abandonné au hasard. Depuis le théâtre de la rue Mauconseil où se jouaient les pièces de Jodelle entre trois morceaux de tapisserie, deux formant les côtés de la scène et le troisième tendu dans le fond, nous sommes devenus un peu plus difficiles en fait de matériel de théâtre. Dès la construction de la salle du Palais-Royal et l’apparition de Miramet — qui n’avait qu’un décor, mais fait exprès, — il se trouva, des critiques pour protester contre ces exigences nouvelles ; l’abbé de Marolles, tout abbé qu’il était, fut en cela le précurseur de M. Sarcey : grand ennemi des « machines » et « perspectives, » il se plaignait que « cet embarras inutile, » divertit le public des beaux vers. Pourtant, l’abbé de Marolles n’eut pas raison de cet art importé d’Italie. Si, pendant longtemps, le luxe des décors fut réservé aux « comédies en musique, » aux ballets, à l’Opéra, c’est d’un décor simple et en quelque sorte neutre suffisait le plus souvent à des ouvrages composés sous le régime de l’unité de lieu ; c’est aussi que le public du XVIIe siècle voyait plutôt avec les yeux de l’esprit qu’avec les yeux du corps ces héros plus spirituels que matériels de la tragédie et de la comédie classiques. Ce n’est pas pour uns autre raison qu’il laissait la fantaisie maîtresse du costume au théâtre. À ces vers à Cinna :

  1. Voyez E. Morice, Essai sur la mise en scène depuis les mystères jusqu’au Cid. Ludovic Celler, les Décors, les Costumes et la mise en scène au XVIIe siècle ; et surtout Adolphe Jullien, Histoire du costume au théâtre depuis les origines du théâtre en France jusqu’à nos jours.