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Le fils tout dégouttant du meurtre de son père,
Et, sa tête à la main, demandant son salaire…


lorsque l’acteur Baron, pour figurer cette tête, agitait son chapeau de cour à plumes rouges, ce n’était pas un chapeau, mais une tête que les spectateurs voyaient par la pensée. Aujourd’hui, si M. Mounet-Sully, M. Dupont-Vernon ou quelque autre, en costume contemporain, agitait de la sorte en déclamant ces vers un « tuyau de poêle » en soie ou bien un « claque » de soirée, il n’y aurait personne dans la salle qui s’imaginât voir autre chose que ce « tuyau de poêle » ou ce « claque ; » l’effet serait désastreux. Nous ne pouvons plus voir des Grecs que dans une architecture grecque et des Romains que sous un vêtement romain.

Est-ce tel ou tel réformateur qu’il faut accuser de ces changemens ? Est-ce Marmontel et Diderot ? Est-ce Lekain et Mlle Clairon ? Est-ce Talma ? Est-ce les romantiques ? Le certain est que, pour procurer l’illusion au public, il a toujours fallu, depuis un siècle et demi, des décors et des costumes qui convinssent plus proprement au drame ; il n’est pas d’abbé de Marolles qui puisse nous ramener en arrière. M. Sarcey assurément ne prétend pas que nous reculions jusqu’au-delà de Mirame : il se contenterait de décider que le magasin de décors de la Comédie-Française doit se composer d’un péristyle de temple, d’une place publique, d’un vestibule de palais, d’une forêt et d’un salon ; que la garde-robe d’un sociétaire doit contenir un costume antique, un habit Louis XIV, un habit Louis XV, un « complet » moderne. Lui prêtè-je plus de goût qu’il n’en a pour la simplicité ? Au moins il a déclaré, — mais ceci en termes exprès, — qu’il regrettait et voudrait voir revenir le temps encore proche de nous où les comédiennes pouvaient jouer la plupart des personnages contemporains, en robe de mousseline : « un ruban noué autour de la taille marquait que la robe était de cérémonie ; et ces costumes, après avoir servi au théâtre, étaient encore d’usage à la ville. » Outre que la mousseline apparemment était plus solide en ce temps-là qu’aujourd’hui, je vois une foule de raisons pour qu’il soit impossible de restaurer des conventions de cette sorte. Mlle Sarah Bernhardt, assure-t-on, doit jouer Froufrou l’hiver prochain : un ruban noué autour de sa taille sur une robe de mousseline ne marquerait pas pour les yeux ni pour l’imagination du public qu’elle est la frivole héroïne de MM. Meilhac et Halévy, pas plus qu’un écriteau accroché à l’un des portans ne marquerait que nous sommes dans son salon et non sur une place publique ni dans un autre salon, celui des Ganaches ou du père Grandet. Il serait superflu de rappeler qu’une enseigne de ce genre suffisait aux spectateurs de Shakspeare pour s’imaginer que la scène représentait une forêt ou la pleine mer : dans l’art théâtral comme dans les autres, les conventions dénoncées ne se rétablissent pas ; la ruine de celles-là, au contraire, annonce la ruine de celles-ci. Le progrès de la mise en scène vous afflige-t-il ? Voilez-vous