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les passions de parti n’ont pas cessé de régner dans le gouvernement comme dans le parlement, parce que depuis trop longtemps déjà tout procède d’une impulsion qui fausse la politique de la France à l’intérieur comme à l’extérieur. Le calme peut être à la surface aujourd’hui ; le mal est dans les choses, dans les faits, dans cet étrange système qui a engagé la république dans une voie où elle trouve au bout du compte les résistances religieuses qu’elle a provoquées, les mécomptes financiers auxquels elle s’est exposée, l’isolement diplomatique où elle s’est laissé réduire. On a beau répéter sans cesse, pour se consoler ou pour se rassurer, que ce sont les ennemis de la république, les réactionnaires qui parlent ainsi ; bien des républicains sensés, réfléchis sont eux-mêmes les premiers à comprendre, à avouer ce qu’il y a de grave dans cette situation telle qu’elle est apparue récemment encore à la lumière de deux discussions très calmes, très sérieuses qui se sont engagées devant le sénat sur les affaires religieuses et sur les affaires extérieures de la France.

Une des plus tristes erreurs de la politique de parti qui gouverne la France depuis quelques années est certainement cette guerre aux Croyances, aux influences religieuses qui est devenue une sorte de mot d’ordre et de système, dont la dernière discussion du sénat atteste une fois de plus le caractère et les excès. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Le gouvernement a imaginé pour son usage tout un ensemble de pénalités variées qu’il prétend appliquer sommairement au clergé. Il avait déjà la faculté de poursuivre devant la juridiction administrative pour obtenir des déclarations d’abus ; il y a ajouté la suspension ou la suppression discrétionnaire des traitemens ecclésiastiques. Il ne s’en est pas tenu là ; il a demandé au conseil d’état une sorte d’avis ou de consultation dont il pût s’armer désormais pour exercer sans contestation ce droit de disposer des traitemens, et même un autre droit nouveau, celui de poursuivre les évêques devant les tribunaux en dehors de la juridiction administrative. Le conseil d’état ne s’est pas prononcé sur la faculté de poursuivre les évêques devant la police correctionnelle ; mais il s’est empressé, pour le reste, de reconnaître au gouvernement tous les droits possibles, le droit de surveillance et d’action disciplinaire qui résulte de sa souveraineté à l’égard de tous les fonctionnaires religieux ou civils, le droit tout spécial d’appliquer la suppression du traitement, — la « saisie du temporel, » — à tous les ecclésiastiques, depuis le plus haut dignitaire de l’église jusqu’au plus humble desservant de village. Le conseil d’état a invoqué l’ancien régime, les droits monarchiques, les décrets impériaux, les traditions, les usages de tous les gouvernemens ; — et voilà pourquoi la république est pleinement autorisée aujourd’hui à supprimer les traitemens des desservans, des curés et même des évêques ! C’est précisément sur ce point que M. Batbie a voulu interpeller le gouvernement, et il l’a