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Ainsi articulées, ces plaintes sont-elles fondées ? Il serait embarrassant d’en convenir, et, de prime abord, elles semblent entachées de quelque exagération : il faut distinguer toutefois. Si les habitans de l’Algérie se bornaient à regretter de ne plus entendre, comme jadis aux beaux jours du régime parlementaire, des voix autorisées et puissantes plaider avec éclat leur cause à la tribune française, ce n’est pas moi qui les contredirais. Oui, il est vrai, les temps sont passés où, devant une chambre dont j’avais l’honneur de faire partie, le maréchal Bugeaud, au lendemain de la bataille d’Isly, et le général de La Moricière, après la prise d’Abd-el-Kader, le front encore éclairé des rayons de leurs récentes victoires, venaient agiter devant des collègues presque aussi émus qu’attentifs ces éternels problèmes algériens que, sous une forme différente, mais les mêmes au fond, nous nous efforçons de résoudre aujourd’hui. Sur cette question demeurée ouverte entre les membres d’un même cabinet, le très sagace ministre de l’intérieur du 11 octobre, M. Thiers, n’hésitait pas, en repoussant les prévisions défavorables du président du conseil et de quelques-uns de ses collègues moins confians que lui, à se porter, avec sa clairvoyance habituelle, le garant intrépide des futures destinées de notre colonie africaine, tandis que d’excellens esprits, M. Dufaure et M. Lanjuinais, M. de Tocqueville et M. de Beaumont, M. de Chasseloup-Laubat, le général Allard, M. de Corcelles, se demandaient entre eux, non sans quelque appréhension, quel système il valait mieux suivre pour tirer tout le parti possible des ressources de nos nouvelles possessions. Certes ils étaient loin de s’accorder entre eux sur le point de savoir s’il fallait faire appel à la puissante initiative du gouvernement en s’abritant sous sa tutelle, ou laisser toutes choses suivre leur cours naturel, en se confiant au temps et à l’activité individuelle des intéressés pour arriver à des résultats plus lents peut-être à obtenir, mais autrement étendus, d’une nature moins factice et, par conséquent, plus sûrs et plus, durables. On comprend que, traitées par des personnes aussi compétentes, les graves questions qui touchaient de si près à L’avenir de l’Algérie aient eu le don de captiver l’attention publique. Il en a toujours été ainsi sous tous nos régimes de libre discussion. Les assemblées républicaines, de 1848 à 1852, quoique absorbées par de terribles préoccupations, n’ont eu garde de se désintéresser de cette colonie africaine, où le général Cavaignac avait brillamment conquis, sous le gouvernement de juillet, tous ses grades militaires. Il y a plus : pendant les deux dernières années de l’empire, quand un peu d’air avait fini par pénétrer dans les rouages de la machine gouvernementale, jusqu’alors si hermétiquement fermée, ce fut du côté de l’Algérie que se portèrent les premières investigations du corps législatif, prompt à saisir l’occasion soudainement offerte d’exercer,