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toutes les nations civilisées comme les conditions essentielle ? de leur existence et répondant le mieux à leur instinct de conservation. Ainsi se développent une à une les règles de conduite privée et publique, qui ne sont dans leur humble origine que des expériences généralisées d’hygiène sociale et d’utilité[1].

Donc plus de discussions vaines sur les axiomes de métaphysique, les principes régulateurs de la raison, les idées directrices de l’entendement, les principes de morale. Ni l’innéité de Descartes, ni celle de Leibniz, ni les lois formelles de Kant, ni la table rase de l’empirisme vulgaire, ni la sensation transformée n’ont raison les unes contre les autres, dans cette vieille querelle sur l’origine des idées. La question est renouvelée et ne se pose plus dans les mêmes termes, ou du moins les termes anciens n’ont plus le même sens. Il y a une innéité, mais actuelle, non d’origine, qui est le résultat de l’expérience collective des âges et comme le résidu des efforts de chaque homme et de chaque génération. C’est l’hérédité qui a tout fait ; elle a créé de toutes pièces l’homme intellectuel et moral, comme l’homme physique ; elle Ta tiré lentement, pas à pas, du presque néant où gisaient son misérable présent et son précaire avenir ; elle en a formé sa nature actuelle ; c’est de ce point obscur qu’elle a développé la trame de ses riches destinées.

Quelle que soit pour certains esprits la séduction d’une pareille hypothèse qui applique au règne de la pensée le même transformisme qu’au règne de la vie, et qui, d’un petit nombre d’actes psychiques très simples, peut-être d’un seul, l’acte réflexe, fait sortir la variété infinie des instincts, des intelligences, des sentimens et des passions, toute la raison, toute la conscience morale de l’humanité, M. Ribot lui-même, si hardi dans le sens des solutions simples, ne se reconnaît pas le droit d’accepter celle-ci dans les conditions où elle se présente. Elle ne lui semble ni vérifiable par l’expérience, ni suffisamment démontrée par la logique[2]. — Discuter cette question sans bornes dans le temps et dans l’espace, nous ne l’essaierons même pas ; ce serait remuer jusque dans ses fondemens la science de l’âme tout entière ; d’ailleurs elle se rapporte plutôt à l’hérédité spécifique qu’à l’hérédité individuelle ; elle a en vue d’expliquer la transmission des aptitudes et des fonctions générales dans l’espèce plutôt que la transmission des variétés individuelles, ce qui est notre sujet propre. Au vrai, c’est une thèse de métaphysique, car l’empirisme a sa métaphysique, quoiqu’il prétende le contraire ; c’est un de ces problèmes d’origine où, d’après

  1. Voir les Bases de la morale évolutionniste, par H. Spencer.
  2. Ribot, l’Hérédité psychologique, p. 299.