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toujours au monde un fils doué des mêmes qualités que celui qui l’a engendré. — On doit reconnaître à ses actions l’homme qui appartient à une classe vile, qui est né d’une mère méprisable. — Un homme d’une naissance abjecte prend le mauvais naturel de son père ou celui de sa mère, ou tous les deux à la fois ; jamais il ne peut cacher ses origines. » Ce n’est que l’application rigoureuse et dans ses dernières conséquences de l’hérédité morale, qui, supposée inflexible, répartit dans des moules immuables les prêtres, les guerriers, les marchands et agriculteurs, les parias. — Contrairement à la caste, la noblesse doit son origine à la sélection, qui est une cause naturelle. Elle suppose au début la supériorité des forces, des talens, des caractères ou l’éclat des services rendus. Souvent elle naît de la conquête. Une race conquérante, inférieure en nombre, supérieure en force, forme une race privilégiée, comme les Normands en Angleterre, chez nous les Francs, les Incas au Pérou. D’autres fois elle s’est établie par le choix du prince, qui récompensait quelque action d’éclat, ou bien par la nature de certaines charges et de certaines fonctions qui anoblissaient. Mais, quelle qu’en soit l’origine, une fois fondée, le caractère de la noblesse est d’être héréditaire. Elle est continue et permanente, sauf le cas de dérogeance. Cette hérédité du sang suppose, comme dans la caste, la foi à l’hérédité du mérite ; elle repose sur cette croyance, passée en institution, que tous les genres de supériorité sont transmissibles ; qu’on reçoit de ses aïeux le courage, la loyauté, l’honneur, tout aussi bien que la force physique. Toute la hiérarchie sociale du moyen âge, toutes nos épopées féodales, tous nos vieux poèmes représentent les vaillans comme issus de vaillans, et les couards et les félons comme des bâtards, rejetons dégénérés d’une grande race, où ils se sont introduits par violence ou surprise, — A la même croyance se rattachent, par voie de conséquence inverse, les institutions et les lois qui supposent l’hérédité des vices et des crimes ; et de là les races maudites, les castes impures, les familles proscrites ; de là aussi la vindicte sociale punissant la perversité du père sur les enfans et les petits-enfans. « Les êtres produits par génération, dit Plutarque dans son Traité sur les délais de la justice divine, ne ressemblent point aux productions de l’art. Ce qui est engendré provient de la substance même de l’être générateur, tellement qu’il tient de lui quelque chose qui est très justement puni ou récompensé pour lui, car ce quelque chose est lui. »

Toutes les institutions politiques et sociales ne sont, on le voit, que l’application pratique de la croyance originelle à la transmission des aptitudes qui ont fondé une famille et une race. Il arrive ainsi, par une singulière rencontre, que les institutions les plus antiques de l’humanité, contemporaines des sociétés naissantes,