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trouvent une confirmation et un appui inattendus dans les théories les plus modernes et particulièrement dans l’école de Darwin. Remarquons, en effet, le caractère aristocratique de ces théories. Tous les partisans de Darwin ne s’y rallient pas ; mais il s’agit seulement de logique ici, non de politique, et il n’est pas douteux qu’au point de vue purement logique, le transformisme ne soit entièrement favorable au dogme de la transmission des privilèges du mérite, de l’intelligence ou des capacités suivant le sang et attachées à certaines familles. N’y a-t-il pas l’une de ces coïncidences étranges ou l’un de ces retours étonnans de doctrines que remarquent les observateurs de l’esprit humain ? Parcourons quelques-unes des applications de la théorie nouvelle, telle que les expose, non sans courage, un de ses interprètes les plus fidèles et les plus convaincus[1]. Les classes sociales, nous dit-on, se sont formées dans chaque société de la même façon et par l’action de la même loi que les races au sein de l’espèce et que l’homme lui-même au milieu des espèces animales. Il faut avoir l’entendement obscurci par des préjugés de système ou des passions personnelles pour ne pas saisir les mille liens qui unissent ces inégalités innées, originelles, aux inégalités sociales garanties par la loi, en d’autres termes l’hérédité naturelle à l’hérédité instituée. On nous donne ces deux propositions fondamentales comme résumant les conséquences nécessaires de la théorie : 1° il n’est point d’inégalité de droit qui ne puisse trouver sa raison dans une inégalité de fait, point d’inégalité sociale qui ne doive avoir et n’ait à l’origine son point de départ dans une inégalité naturelle ; 2° corrélativement, toute inégalité naturelle qui se produit chez un individu, s’établit et se perpétue dans une race, doit avoir pour conséquence une inégalité sociale, surtout lorsque l’apparition et la fixation de cette inégalité dans la race correspondent à un besoin social, à une utilité ethnique plus ou moins durable.

A l’appui de cette double thèse, on cite tous les faits historiques d’hérédité que nous avons énumérés et bien d’autres, comme l’institution de la magistrature et du sacerdoce antiques à côté des aristocraties, des royautés et des castes, en général de toutes les autorités politiques, héréditaires dans l’origine, qui ont pu sans doute exagérer le fait primitif des inégalités naturelles, parfois même le fausser par la ruse, l’hypocrisie ou la violence, mais qui le plus souvent n’ont fait que l’exprimer avec un saisissant relief et le traduire avec éclat sur la scène de l’histoire. Dire que ce fait est fatal, c’est dire qu’il est légitime ; les deux choses ne se distinguent pas dans

  1. Mme Clémence Royer, Origines de l’homme et des sociétés, chap. XIII. — Nous avons exposé avec plus de développement ces conséquences du darwinisme dans un chapitre des Problèmes de morale sociale, intitulé : Origine et avenir des sociétés d’après la doctrine de l’évolution.